Plaisir de théâtre
Hier j’ai été voir Adam et Eve de Boulgakov au théâtre Gérard Philippe
de Saint Denis.
Quel plaisir ! La pièce
est de qualité, pleine de vivacité, son texte est acéré, satire drolatique de
la réalité stalinienne mais au-delà réflexion sombre sur le danger des
idéologies, sur la folie de la guerre. Certains passages sont glaçants,
d’autres franchement drôles. Quelques hommes et une femme survivent dans une
ambiance de fin du monde après une attaque chimique qui a anéanti la ville. Ils
se côtoient, s’entraident, s’affrontent et finalement se révèlent dans cette
situation extrême. Les rapports au pouvoir des uns et des autres, aussi
dérisoire celui-ci soit-il devenu, apparaissent crûment et naturellement le
désir et l’amour s’en mêlent. Il y a les idéologues prisonniers de leur folie,
l’homme du peuple au solide bon sens, le littérateur infatué de lui-même mais
qui finalement n’est pas dupe, il y a le savant décalé, qui a découvert
l’antidote grâce auquel tous survivent, il apparaît légèrement givré mais au
fond c’est lui le porteur de sagesse (est-ce le porte-parole de
l’auteur ?), il y a Eve enfin, l’unique femme qui reste, frivole au début
mais dont la gravité à la fin la fait porteuse de l’avenir possible de
l’humanité.
La scénographie est très
belle, les personnages évoluent sur une vaste scène, profonde, apparaissant,
disparaissant au milieu de volutes d’épaisses fumées, sculpté par la lumière,
formant de superbes tableaux.
Les acteurs sont bons (voire
excellents pour certains, Pontchik le littérateur, Efrossimov le savant ou
Eve). Le plaisir du théâtre c’est cela surtout, c’est le plaisir du jeu des
acteurs. Sur ce plan, rien à faire, il n’y a pas photo avec le cinéma aussi
bons, aussi présents les acteurs soient-ils dans un film. Au théâtre il y a la
présence, la proximité vivante et qui est particulièrement sensible dans une
salle pas trop grande comme celle-ci. Il y a la conscience que cette aventure
est chaque jour renouvelée, soumise à des aléas, sans seconde prise. Il y a
cette joie formidable que dégagent les acteurs lorsqu’ils viennent saluer à la
fin et que l’accueil a été chaleureux.
J’adore le théâtre. Mais j’y
vais peu. Trop peu. Aller au théâtre nécessite d’y penser à temps, de réserver,
de s’organiser. Ou de prendre des abonnements comme on l’a fait certaines
années. Mais on se dit qu’il y a tellement de choses à Paris qu’il est dommage
de se contraindre dans les offres d’un abonnement précis. Résultats des courses
on ne voit presque rien parce que le temps de réagir souvent il n’y a plus de
place, j’ai raté par exemple les Ephémères de Mnouchkine en m’y prenant trop
tard. Là en fait nous avons été à ce spectacle parce qu’un de mes amis lyonnais
faisait partie de la troupe et nous y a fait inviter.
J’étais très heureux de le
revoir d’ailleurs, cet ami « de trente ans » comme on dit, avec qui
j’ai été très lié à une certaine période de ma vie mais que je n’avais pas vu
depuis plusieurs années. Outre le moment d’après spectacle nous avons pu nous
retrouver en déjeunant ensemble il y a quelques jours. Je suis assez admiratif
de son parcours. Il disposait à priori de moins d’atouts culturels et sociaux
que moi mais il a su lui, contrairement à moi, se remettre en cause, quitter le
travail routinier dans lequel il avait commencé, prendre le risque de
travailler ses passions musicales et artistiques pour en faire l’axe de sa vie
et son métier. Je sais bien que j’ai tort, que tout regret à propos de ce qu’on
aurait pu ou dû faire soi-même est absurde et improductif, mais il n’empêche,
je ne peux m’empêcher d’avoir un petit pincement parce que ces accomplissements
me renvoient à ce qui chez moi ne fut jamais que velléités.