Ricochet 1995: Trois générations
Voici ma
contribution 1995 aux « Petits
cailloux et ricochets » des blogueurs :
Nous avions retrouvé le
groupe en gare de Tarbes sous une pluie battante. Le minibus a embarqué toute
la troupe, nous avons franchi les Pyrénées dans la foulée, roulé encore deux
bonnes heures sous un ciel espagnol déjà plus clément avant d’arriver à notre
base, une ancienne bergerie à la sortie du village de Rodellar dans la sierra
de Guara d’où nous allons pendant une semaine pratiquer un stage d’initiation
au canyoning.
Dans ce groupe il y a moi,
il y a mon fils de 12 ans qui est, mais d’assez peu, le plus jeune des
participants et puis il y a mon père qui est lui et de loin le doyen du groupe.
J’avais eu envie de cette
activité pour changer de nos traditionnelles randonnées estivales. Ce projet
avait séduit mon fils bien plus qu’une simple marche mais il ne disait rien par
contre à Constance. Mon père, lui, toujours avide de découvertes et d’occasions
de pratiquer des activités un peu physiques qu’il n’avait aucune chance
d’effectuer avec ma mère pas sportive pour un sou, avait proposé de se joindre
à nous.
Et c’est ainsi que nous nous
étions inscrits, attelage un peu atypique pour ce genre d’activités, trois
hommes, un fils, un père et un grand père.
Le premier après-midi c’est
l’apprentissage technique, nous faisons de premières trempettes dans des eaux
tranquilles pour apprendre à évoluer engoncé dans les combinaisons serrées puis
on nous montre quelques techniques simples d’évolution sur des falaises. Ainsi
mon fils, mais mon père aussi, font une descente en rappel pour la première
fois de leur vie. Il faut le voir, le grand-père, un peu tendu au moment de se
laisser partir en arrière depuis la falaise puis une fois en bas, rayonnant,
joyeux comme un gosse, avide de recommencer !
On se sent gamins les uns autant
que les autres.
Quel bonheur d’être gamins
ensemble !
On profite à plein du
caractère ludique du canyoning : Le plaisir de se laisser glisser au fil
de l’eau ou de nager dans de vastes piscines naturelles puis de se faire
secouer dans des passages plus mouvementés. celui des douches sous les cascades
et celui des sauts de plus ou moins hauts dans des piscines profondes entre les
rochers, le délicieux pincement d’anxiété au moment de s’enfoncer dans un
goulet étroit pour passer un siphon, le contraste entre la fraîcheur des
« oscuros », les fonds de canyon où le soleil n’atteint jamais et la
chaleur lorsqu’on sort des zones étroites, la douceur des haltes sur les berges
dans des zones plus ouvertes pour des piques-niques bucoliques loin de tout…
Un soir nous fêtons les
soixante-dix ans de mon père dans une ferme où était organisé pour ceux qui le
souhaitaient un repas local traditionnel. Je lui offre un cadeau modeste, une
paire de jolis couverts à salade en buis acheté dans le village. Il les a encore
et me dit que chaque fois qu’il les utilise lui revient souvenir de cette belle
semaine.
L’avant dernier jour mon
père dont la souplesse de jambe tout de même n’est plus à toute épreuve s’est
fait mal en glissant sur un rocher humide. Il ne participe pas à la dernière
randonnée mais il vient avec nous cependant jusqu’à notre point de départ,
légèrement claudiquant et s’installe sur un rocher à l’ombre un peu au-dessus
du rio. On aperçoit des aigles qui tournoient dans le ciel. Nous nous
éloignons, il est convenu qu’on le retrouve ici en fin d’après-midi. Il passe
la journée là, à lire et rêver, il me dira ensuite avoir gardé de cette journée
solitaire et malgré sa blessure un souvenir particulièrement merveilleux.
C’est peu de dire qu’il aura
été heureux de partager cette semaine avec son fils et son petit fils. Mon
garçon aussi est tout fier d’avoir ainsi participé pour la première fois à une
activité de « grands », et spécialement de l’avoir fait avec son
grand père qu’il admire beaucoup. Quant à moi, comment ne serais-je pas ravi
d’être ce point d’union, ce maillon entre générations, de me sentir au cours de
ces journées, du matin au soir et du soir au matin, à ma place dans le grand
flux de la vie.