Un week-end
Lundi matin, je m’éveille,
il y a le bruit de la pluie sur le toit, des chants d’oiseaux cependant, des
abois de chiens, les meuglements d’un troupeau de vache qui passe à proximité.
Je me lève, j’ouvre le rideau et la fenêtre, hume l’air chargé d’odeurs,
m’accoude au rebord de la fenêtre, je regarde cette campagne très verte,
enserrée dans ses collines et ses montagnes un peu plus lointaines que masquent
en partie des lambeaux de brume et de grosses masses nuageuses menaçantes…
J’ai pris mon petit carnet,
j’ai commencé à tracer ces mots, je me sens des envies d’écrire, parler de ce
moment et du week-end qui s’achève, et pourtant en même temps j’hésite, c’est
même ça, cette hésitation qui occupe l’essentiel de ma cogitation matinale :
en parlerais-je ou pas ? si j’en parle par quel bout vais-je le prendre?
Pour l’instant je n’en sais
rien, je repose mon crayon, je laisse en attente et vais prendre mon petit
déjeuner avec l’ami Pierre qui m’a gentiment hébergé ce week-end et avec qui à
coup sûr nous n’allons pas manquer d’évoquer la question…
J’ai repris mon écriture
dans le train du retour de Lyon entre rêverie et lectures de quelques chapitres
de Lady Chatterley puis je la continue ce matin sur l’ordinateur.
Mon anonymat est à coup sûr
bien fragilisé. Je ne cherche plus, comme auparavant à éviter systématiquement
toute entrée permettant à qui me connaîtrait par ailleurs de me reconnaître.
J’imagine que cela a dû arriver à quelques uns d’ailleurs déjà de se dire en
tombant sut telle ou telle entrée : « ah tiens, ce Valclair c’est
donc … ».
A bien y réfléchir ce qui me
gêne dans l’effritement de l’anonymat ce n’est pas le fait en lui-même mais les
conséquences que cela peut avoir sur ma façon d’écrire. Il est parfois
compliqué, il peut même sur certains sujets s’avérer impossible, de parler
d’une même voie à des types de lectorat et à des lecteurs trop divers :
J’ai mon lectorat lointain, abstrait, avec lequel je ne communique pas et vis à
vis duquel je me sens totalement libre, j’ai les lecteurs proches, ceux avec
lesquels s’est développé une véritable communication, des relations plus ou
moins intenses, ceux qui participent de ce que j’appelle ma blogobulle et avec
lesquels nous partageons une même démarche même si les niveaux de dévoilement
ou d’engagement respectifs des uns et des autres sont très divers. S’y rajoute
vraisemblablement à chacune des occasions où se mêle intervention publique de
ma part sur ces sujets et évocations de ceux-ci dans mon blog des personnes qui
me croisent ou me connaissent dans une sphère publique sans qu’il y ait pour
autant de relation intime avec elles. L’existence potentielle de ce type de
lectorat supplémentaire vient s’inscrire dans la petite boîte intérieure qui
là-haut contrôle mon écriture et qui tente de se dépatouiller de cette
difficile mission : s’adresser à ce public multiple et maintenir
absolument l’authenticité.
Les Journées de l’APA qui se
tenaient à Ambérieu ce week-end sont précisément une occasion de ce type.
J’hésite donc toujours un peu à en parler mais enfin ce mouvement de délitement
de l’anonymat est engagé, je ne reviendrai pas en arrière, alors allons-y…
Je n’ai pas du tout
l’intention de faire un compte rendu des Journées. Cela paraîtra ailleurs. Il
me suffit de dire que comme à l’habitude elles ont été un moment riche de
convivialités de toutes sortes, avec des contributions intéressantes, que la
météo heureusement clémente du samedi a rendu la visite et le parcours
gastronomico-littéraire au château des Allymes, où était fêté en présence de la
municipalité d’Ambérieu les quinze ans de l’association, particulièrement
sympathique et agréable. Il me semble tout de même que j’ai été moins
interpellé émotivement et moins stimulé intellectuellement par les prestations
des intervenants extérieurs que d’autres années : je ne sais si ça tenait
à moi, au moindre écho du sujet en moi, à une certaine connaissance
intellectuelle que j’en avais puisque je m’y étais intéressé en fréquentant le
séminaire de J.L. Flandrin il y a pas mal d’années ou à la qualité intrinsèque
des interventions. Un peu des trois sans doute.
Mais il y a eu aussi la
pièce du vendredi soir « Tentative intime » de Sabine Revillet. La
pièce est la mise en scène d’évocations tirées du journal intime de l’auteure
et dont ressortent surtout les moments douloureux de son parcours. Je me suis
senti souvent mal à l’aise pendant la pièce, ne sachant si j’appréciais ou pas.
Certains moments m’ont paru très pénibles à supporter, des moments d’insistance
vraisemblablement courts mais qui m’ont semblé interminables comme la
transmission des liens, la sonnerie du portable, les moments de silence et de
suspens aussi, par exemple ceux où elle changeait d’apparence et qui marquaient
le passage d’une partie à une autre. Preuve que j’étais effectivement mal à
l’aise. Etait-ce un effet que l’auteure souhaitait susciter, en nous laissant
le temps de nous confronter à nous-mêmes ?
Evidemment tout ça
m’intéresse aussi vivement en relation avec les questions que nous nous posons
dans nos blogs : jusqu’où aller dans les dévoilements de l’intime, vis à
vis de soi même et vis à vis des proches (la mère et la grand-mère de l’auteure
ont assisté à l’une des représentations), comment autrui peut-il recevoir ce
que l’on dit, tirera-t-il quelquechose à terme du malaise auquel on l’aura
éventuellement confronté ?
J’ai trouvé pour ma part
cette présence de l’intime plus impudique, mettant plus mal à l’aise ici que
dans n’importe quel blog parce qu’elle est concrétisée par la réelle présence
de l’artiste ce qui dévirtualise les choses, les rapproche de nous. Il ne
s’agit pas seulement de mots dans un livre ou sur un écran, mais bien de la
voix étranglée par la douleur, des sanglots de la personne elle-même.
Evidemment on me dira que c’est du jeu, du théâtre, bien sûr ça l’est, mais
c’est le théâtre de la personne même qui le joue, c’est la réactualisation d’un
vrai moment, d’une vraie douleur de sa vie. Se pose alors la question pendant
qu’on l’entend : joue-t-elle ou revit-elle ? Il y avait du soulagement
à la voir venir s’exprimer, enjouée et détendue après sa performance
précisément parce que on aurait pu craindre que ce ne soit pas le cas.
Parler d’impudeur, du fait
d’avoir été mis mal à l’aise n’est naturellement pas une critique de ma part.
Mais ce qui a manqué c’est un échange véritable avec elle qui aurait été très
intéressant sur les enjeux qu’elle y avait mis, sur la part que ce travail
avait pu apporter à sa propre construction, sans doute lui apportait encore
puisque le spectacle est évolutif, différent chaque fois qu’elle le joue. La
discussion qui a suivi le spectacle était insuffisante pour permettre un tel
dialogue. J’étais comme je suppose le reste du public un peu assommé, il aurait
fallu du temps, un petit décalage avec la prestation elle-même, sans doute
aussi aurait-il fallu être moins nombreux (tiens un atelier avec elle le
lendemain, voilà ce qu’il aurait fallu et ce qui aurait été sûrement absolument
passionnant).
Allez pour finir et pour l’ambiance je vous donne une image (prise je l’espère de suffisamment loin pour que nul ne se sente atteint dans son droit à l’image) d’apaïstes mariant plaisir de bouche et de texte dans la belle lumière d’une fin d’après-midi au pied du château des Allymes…