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Les échos de Valclair
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30 novembre 2007

Ricochet 1992: Procuration!

Donc je reprends mes « Petits cailloux et ricochets » . Disons que je vais essayer de reprendre ma publication régulière, un ricochet par jeudi, en m’enfonçant vers les limbes du temps de ma naissance. Je ne sais pas si je vais y parvenir. On verra bien. Je suis déjà en retard d’un jour pour celui-ci. Il était prêt pourtant. Mais il m’a paru si difficile à mettre en ligne, bien plus intime et dérangeant pour moi que telle ou telle considération de cœur. Difficile mais au fond si salutaire !

 

Ce soir là, je vais dîner chez mes parents.

Nous tardons à nous mettre à table car mon père attend un coup de téléphone. On doit l’informer officiellement de sa nomination à un poste éminent dans lequel il doit terminer sa carrière. Les choses sont faites, il le sait. Le coup de téléphone ne sera qu’une confirmation et l’occasion pour lui de premières félicitations.

Le téléphone sonne.

« Ah… ah oui… ah bon… ah mais pourquoi ? oui, vous pensez ?

Le ton de voix enjoué et mondain que mon père avait adopté en décrochant a changé du tout au tout. Il s’est fait, concentré, soucieux, interrogatif. Manifestement il y a un changement. La discussion se prolonge. Nous poursuivons languissamment nos propres conversations autour de l’apéritif tout en laissant traîner nos oreilles du côté du téléphone, nous écoutons sans écouter...

« Mais non, cher collègue, mais non, ce n’est pas grave, oui, à très bientôt, au plaisir… »

Il a raccroché. Le voici qui vient vers nous avec un sourire contraint.

« Ah et bien non, ça ne se fait pas finalement, c’est X qui l’a eu, je vais terminer là où je suis… »

Nous questionnons. Comment se fait-il ? Qui a glissé une peau de banane ? Des histoire de réseaux, de coteries ? « J’avais fait les « visites » pourtant, on m’avait assuré… mais X est très introduit politiquement, moi je suis toujours resté à la marge, peut-être est-ce ça … c’est mon âge, à soixante-six ans je dois prendre impérativement ma retraite à la fin de l’année, c’est la raison invoquée, je ne pouvais pas rester assez longtemps sur le poste… »

Nous questionnons. Enfin surtout je questionne. Je manifeste ma déception. J’ai le sentiment d’une injustice. Je me sens floué.

Je !

Je plus que lui !

Comme si c’était moi qui était concerné !

Nous dînons. La conversation file sur bien d’autres chemins. J’y participe comme les autres. On parle de choses et d’autres, des enfants, des prochaine vacances. La soirée se termine. Nous rentrons chez nous. Sur le chemin du retour persiste en moi un vague et étrange malaise…

Pourquoi avais-je réagi ainsi ? Qu’est ce que cela disait de moi de me sentir investi à ce point dans les succès paternels ou dans ses déceptions ?

J’abordais déjà aux rives de la quarantaine, j’avais travail, maison, femme, enfants, j’étais censé être adulte et voilà que je réagissais comme un petit garçon admiratif, qui n’existerait que par son père !

J’ai apprécié et j’apprécie encore certains aspects de mon activité professionnelle. Mais je ne m’y suis jamais senti en pleine adéquation avec moi-même. Il m’y manquait quelque chose. J’ai eu des velléités de faire autre chose. J’ai commencé d’emprunter même quelques pistes, je n’ai jamais été au bout.

Pourquoi n’ai-je pas pu faire ces pas ? Pourquoi ai-je été incapable de trouver les ressorts pour construire les chemins d’affirmation et de réalisation qui me soient propres ?

Avoir une vie professionnelle intellectuellement et socialement brillante n’est pas un but en soi et n’est pas condition obligée du bonheur. Je me suis dit cela lorsqu’il m’arrivait d’avoir un sentiment de déclassement, du moins dans l’ordre du prestige et de la reconnaissance intellectuelle. Déclassé, ou plus simplement pas à la hauteur d’un père admiré ?

Toujours gentil et compréhensif cette bonne pâte d’homme ne m’a jamais bousculé, se contentant de trouver parfois « dommage » que j’ai renoncé à certaines voies plus prometteuses ou que je n’ai jamais cherché à faire carrière. Mais je suis convaincu, aussi peu interventionniste qu’il ait été, qu’au fond de lui il espérait mieux de moi. Il ne me l’a pas dit. Je l’ai senti. Et c’est resté, caché au fond de moi, comme un poids, comme une barrière sur mon chemin.

C’était cela qui m’éclatait au visage au travers de cet étrange dépit par procuration.

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Commentaires
D
Bonsoir Valclair,<br /> Voilà bien pour moi, à te lire ici, un de ces moments qui rappellent comme écrire peut-être un acte.<br /> Quel acte !<br /> Et il y a fort à parier que beaucoup de "petits garçons" reconnaissent, à leur manière propre, de nombreux éléments que tu décris ici...<br /> Enfin, je trouve encore ce billet magnifique.<br /> Et quel acte !<br /> Et la pièce est loin d'être terminée ;-)
A
Un jour, quand je finirai de sortir de ma léthargie de "femme immobile" ;-), il faudra que je ricoche sur ton billet: je n'ai pas trouvé tes ocnsidérations tortueuses du tout monsieur l'héritier !
V
C'est écrit au passé parce que je me référais là surtout à ma vie professionnelle dont en effet je n'envisage plus le changement. Mais oui, sur un plan plus large, je l'écris au présent et j'escompte en effet d'autres réalisations de moi, je ne renonce pas. Et je sais que mes activités d'écriture ou autour de l'écriture (donc aussi ce blog) participent et participeront à cette réalisation.<br /> Curieux Ada et rassurant pour moi de lire que ce bilet "creuse" aussi en toi. J'aurais pu craindre qu'il ne soit perçu par toi et par beaucoup d'autres que comme les considérations tortueuses d'un "héritier" culturel qui a mal digéré et mal profité de ce qui lui était donné tout naturellement, sans avoir à l'arracher.
A
Merci pour ce billet Val, il creuse aussi en moi. "Noble " est un adjectif bien trouvé. <br /> Et j'apprécie aussi le commentaire d'Alainx.
A
J'aime beaucoup cette entrée.<br /> Il y a une vraie "parole d'homme", de la noblesse aussi dans ce regard sur ta vie.<br /> <br /> Je me permets une remarque, tu dis :<br /> "Pourquoi n’ai-je pas pu faire ces pas ? Pourquoi ai-je été incapable de trouver les ressorts pour construire les chemins d’affirmation et de réalisation qui me soient propres ?"<br /> <br /> je vais oser te les poser autrement :<br /> (je les écrites au "je" comme si c'était toi qui te posait les questions...)<br /> <br /> Qu'est-ce qui cherche à s'affirmer en moi aujourd'hui, dans le sens d'une réalisation de moi, tel que j'en ressens toujours la dynamique ?<br /> <br /> Quels pas effectifs je pourrais faire pour aller dans ce sens ?<br /> <br /> Disons que je trouve un peu dommage que tu sembles parler de cela au passé, comme d'un quasi-renoncement...<br /> Tu as encore tellement d'années devant toi pour entreprendre.... pour ton bonheur...<br /> <br /> (je dis cela parce que vers 40 ans j'étais dans une sorte d'état quelque peu comparable à ce que tu dis.... et puis j'ai opté pour autre chose dans la vie.... prenant pas mal de risques... mais cela me valut 15 ans de réel bonheur professionnel....)
Les échos de Valclair
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