Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les échos de Valclair
Derniers commentaires
20 août 2008

Scène de bar

Souvent après le déjeuner lorsque nous sommes ici, nous allons prendre notre café sur la terrasse du bar-pmu qui est à notre porte. Nous profitons de l’ombre des arbres et de l’ambiance de la place, paisible, un peu assoupie même à cette heure, mais jamais tout à fait morte. Nous observons (enfin disons surtout j’observe) les passants, les autres consommateurs aux tables proches. Ça c’est pour moi le grand plaisir des terrasses…

Aujourd'hui une jeune femme et son compagnon m’ont attiré l’œil. Ils avaient des cafés sur leur table à notre arrivés et se sont fait apporter, à deux heures de l’après-midi, des verres de vin blanc pour poursuivre. L’homme et le femme étaient beaux tous deux, semblaient heureux, assez rayonnants quoique la femme notamment déjà portât en elle une sorte de lourdeur faisant signe. Ils ont siroté lentement et dès que les verres ont été vides l’homme les a portés à l’intérieur du bar et est revenu en ayant fait renouveler.

La femme s’est mise à téléphoner. Elle parlait haut et fort et je n’ai eu aucun mal à suivre sa conversation. Elle appelait ses enfants, un jeune garçon et une petite fille manifestement, auxquels elle a successivement parlé. Elle s’exprimait avec chaleur, avec amour, remplissant son discours de formules tendres : ma puce, mon petit, mon chéri, avec une insistance, une exaltation presque exagérée, malsaine. Etait-elle déjà en train de chercher à se faire pardonner, à juguler sa culpabilité ?

« Pascal t’a acheté une épuisette pour pêcher. Elle est super tu verras. Il est gentil Pascal. Oui, ma puce on arrive. On monte tout de suite. On sera là dans une heure. A tout de suite, mon cœur… »

Sur quoi l’homme est allé faire remplir à nouveau les verres. Elle s’est levé quant à elle, est partie vers l’autre bout de la place et je l’ai perdue de vue, elle a été faire une course sans doute (des cigarettes peut-être qu’elle fumait à la chaîne) puis est revenue quelques minutes après. Elle marchait droit, il y avait juste des gestes un peu saccadés, elle parlait clair, il y avait juste cette voix un petit peu trop sonore, juste ce petit tremblé dans l’expression. Á son retour, avant de se rasseoir, elle s’est penché sur son compagnon, s’est collée à lui, l’a caressé et embrassé, juste de façon un peu trop ostentatoire…

Nous étions restés longtemps déjà, j’avais tendance à traîner sous l’effet de ma malsaine curiosité mais finalement nous sommes rentrés à la maison.

J’ai toujours une légère fascination pour des scènes de ce type. Une femme jeune et belle occupée à se soûler me fait ressentir immanquablement un mélange de malaise, de curiosité et d’attirance un peu morbide.

Je m’interroge : Qui est-elle ? Pourquoi fait-elle ça ? Quelle est la douleur sous-jacente ? Comment est-elle lorsqu’elle est complètement partie ? Jeune et belle elle est, belle elle ne le restera pas. Quel est ce jeu qu’elle joue avec la déchéance, quel est ce jeu qu’elle joue avec la mort ?

Au bout d’un moment je suis ressorti, je suis resté quelques instants sur le perron de la porte comme si j’attendais quelqu’un, tout en les observant. Ils étaient toujours là. Elle discutait avec volubilité avec des gens à la table voisine, manifestement sérieux piliers de bar eux aussi. J’ai regardé l’heure. Il était presque quatre heures.

J’ai repensé aux gosses auxquels elle téléphonait tout à l’heure et qui l’attendent. Elle n’y pense plus elle. Ou alors elle y pense et ça la déchire et elle croît qu’elle n’y peut rien, mais sa voix, quoique plus empâtée paraît toujours gaie et joyeuse.

Un peu plus tard j’ai remis encore le nez dehors. Cette fois ils n’étaient plus là. J’aurais voulu les voir partir, les voir rejoindre leur véhicule, voir celui-ci s’éloigner. Non sans une certaine terreur pensant à la rencontre inopinée qu’ils pourraient faire, par exemple avec un cycliste croisé au mauvais moment, avec un petit gamin jouant trop près du bord de la route…

Mais je sais aussi, quelle autre raison, en plus de mon esprit naturellement voyeur, a scotché mon regard à cette femme. Ma sœur, après la mort de mon grand-père, dont d’ailleurs elle était venue s’occuper avec dévouement dans le temps final de sa maladie, a vécu dans cette maison pendant deux ans. Elle avait à l’époque, un sérieux, très sérieux problème avec la boisson et son compagnon de l’époque aussi. Je les imagine assez tous les deux attablés sur cette même terrasse pour des après-midi de picole. Je fais un peu plus que les imaginer, je sais qu’ils se sont tenus à ces tables, je sais qu’il y a eu ici quelques incidents homériques et quelques scènes pas tristes, si justement tristes, terriblement tristes ! Tout ça c’est terminé plutôt mal et même si maintenant, bien des années plus tard, elle est totalement guérie de l’addiction, elle en garde bien des séquelles.

Publicité
Commentaires
Les échos de Valclair
Publicité
Publicité