Kafkaïen!
J’ai dû relire deux fois
l’article du Monde samedi à propos de l’interpellation musclée de Vittorio de
Filipis. Cet ex-directeur de publication de Libé s’est fait cueillir chez lui à
l’aube par la police, il s’est fait menotter et embarquer manu militari puis il
a eu droit à deux fouilles successives au corps et à quelques insultes. Tout ça
comme suite à des plaintes en diffamation déposées par le Pdg de Free, pour des
articles ne lui ayant pas plu et - c’est encore plus extravagant – pour des
commentaires déposés par un internaute sur le site de Libération à l’époque où
Filipis en était directeur !
L’histoire m’a paru
tellement invraisemblable que j’ai relu l’article deux fois en me disant : Mais c’est pas possible, je n’y crois pas .
Mais si apparemment il faut
y croire !
Est-ce à ça que servent les
moyens de la justice dont on dit assez la grande insuffisance ?
Est-ce à ça que servent les
moyens de la police ?
Qu’est ce qui peut expliquer
une intervention aussi délirante ?
Est-ce le résultat d’un
excès de zèle d’une juge d’instruction ou des fonctionnaires de police qui ont
pris le relais ?
Va-t-il y avoir des
sanctions pour cet excès de zèle aussi rapidement qu’il y en a eu pour son
pendant inversé, l’insuffisance de zèle supposée des forces de police lors de
l’occupation de la villa corse de l’ami du président ?
Excès de zèle n’est même le
terme qui convient : l’interpellation même si elle avait été effectuée
d’une façon civilisée et respectueuse pour la personne en cause paraît totalement
inadaptée, hors de propos, pour une affaire de ce type. La délicieuse Dati
vient, à ce que je vois, de justifier l’interpellation par la non réponse du
journaliste à de précédentes convocations qui lui auraient été notifiées. Il y
a débat sur le sujet avec les avocats de Libération. Mais quoiqu’il en soit et
indépendamment du « droit » éventuel que la juge aurait eu de
délivrer ce mandat d’amener, on aurait pu supposer que le simple bon sens lui
fasse rechercher d’autres moyens de contact.
Et si ça se passe comme ça
pour un journaliste, ayant par définition les moyens de faire du tapage
médiatique, on peut imaginer à quels excès peuvent se laisser aller certains
fonctionnaires de police avec des sans-voix, au fin fond des quartiers et des
cités.
Faudrait-il croire alors que
ce soit un peu plus que des dérapages, une volonté de créer un certain
climat ?
Ça me parait de tellement
mauvaise politique que j’ai du mal à le croire.
Et pourtant, je crains qu’il
ne faille se rendre à l’évidence.
On a manifestement de plus
en plus une police et une justice instrumentalisés et, de surcroît,
instrumentalisés n’importe comment.
C’est assez effrayant !
On me dira peut-être qu’il y
a plus grave : les sans domicile qui claquent, la crise qui s’approfondit
chez nous et encore plus hors de chez nous, les populations dramatiquement
fragilisées tout autour du monde, la terre qui se porte mal.
On me dira, ce n’est qu’un
éphiphénomène, ça va faire causer les bobos de gauche, d’ailleurs ça marche, la
preuve ce que je suis en train d’écrire, et pendant ce temps on ne parle pas du
reste.
On me dira que ce n’est pas
bien intéressant de se fendre d’un billet sur un sujet comme celui-ci qui voit
et verra se manifester une indignation largement partagée.
On me dira ce qu’on veut, je
ne peux m’empêcher de pousser mon coup de gueule.