Déception théatrale (enfin, légère déception...)
J’aime
beaucoup le théâtre. J’y vais peu. C’est bien le paradoxe d’ailleurs de vivre à
Paris où l’offre de spectacles est immense et d’aller finalement moins au
théâtre ou au concert que nombre de nos amis qui vivent en province. On croit
tout avoir sous la main donc on ne prend pas d’abonnements, on se dit qu’on
verra en fonction des sorties, des critiques et finalement quand on se bouge il
n’y a plus de places. Et c’est tellement plus simple d’aller au cinéma :
rien à prévoir, on s’y pointe dès qu’on a un moment et basta…
Mais
le théâtre tout de même c’est autre chose. Cette aventure chaque jour
différente, les acteurs en chair et en os, la réelle présence et pas seulement
les images… C’est irremplaçable.
D’où
ma déception lorsqu’il m’arrive de ne pas être tout à fait conquis par un
spectacle.
C’est
ce qui s’est passé pour le Platonov de Tchekhov que nous avons vu hier. Les
acteurs étaient très bons, il y a dans cette pièce des rôles excellents, celui
de Platonov, celui de la Générale, personnages aux multiples facettes et qui
impliquent, pour être crédibles, pour passer la rampe un formidable abattage
des acteurs, dans la façon de dire le texte mais aussi dans leurs mouvements,
dans l’ensemble de leurs attitudes corporelles. Ils l’avaient tous, les acteurs
principaux comme les rôles plus secondaires, cet engagement, cette furia qui
donne sa force au théâtre et sans doute est-ce l’essentiel.
Le
fond du texte est brillant et me frappe par sa modernité. Cette société russe
vidée de toute valeur et de toute espérance, dans laquelle triomphe un cynisme
incarné avec particulièrement de brio par Platonov est prête pour la
décomposition dans laquelle elle va basculer avec la révolution. Comment ne pas
y voir quelques parallèles avec les maux actuels de notre propre société
mondialisée. Des partis pris de traduction ou d’expression des acteurs
accentuent cette impression de modernité et c’est très bien, ça rapproche la
pièce de nous. Le ton est caustique, on rit beaucoup, ça bouge et ça remue,
c’est du vrai théâtre.
Derrière
la sûreté intellectuelle et le brillant de Platonov il y a sa désespérance, son
immaturité, sa faiblesse qui le conduit à devenir ce pantin pitoyable qui n’a
aucun contrôle sur sa propre vie. La farce se transforme en tragédie.
L’affaire
se met en place brillamment dans les trois premiers actes. Mais la fin déçoit
beaucoup. Elle s’éternise inutilement sans aucune véritable relance. On a
compris où en est Platonov, on devine vers quoi l’on va, un acte aurait
amplement suffi là où il y en a deux. C’est très dommage, je trouve que ça
casse l’ensemble, ça vide le propos d’une partie de sa force et le plaisir de
théâtre lui même s’étiole.
Il
me semble que ça se sentait dans la salle. J’ai l’impression qu’il n’y a pas eu
dans la seconde partie tout à fait la même concentration du public qui devenait
plus distant. J’ai applaudi bien sûr quand le rideau est tombé mais pas avec
enthousiasme, alors que la troupe l’aurait amplement mérité. La salle était à
l’unisson il me semble. Applaudissements nourris, reconnaissance du beau
travail effectué mais pas vraiment d’enthousiasme, pas de cette communication
électrique entre la troupe et la salle que l’on ressent dans les spectacles
vraiment réussis et qui parfois me fait presque monter les larmes au yeux.
C’est le texte de Tchekhov qui est responsable, il manque de concentration
surtout sur la fin (c’est une œuvre de jeunesse, écrite à dix-huit ans, chapeau
tout de même !) ,ce n’est sûrement pas un hasard qu’elle n’ait jamais été
jouée de son vivant.