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Les échos de Valclair
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26 décembre 2005

"Professeurs de désespoir"

Ecrit le 21/12/05

Brouillard intense ce matin. On en profite pour lézarder dans notre nouveau canapé. Et pour s’inscrire dans un tempo lent. Moi j’achève tranquillement la lecture de « Professeurs de désespoir » de Nancy Huston.

Quel livre sympathique et roboratif. C’est un essai sur les écrivains « néantistes », depuis Schopenhauer, le Père Néant, jusqu’à Houellebecq et Christine Angot, en passant entre autres par Beckett, Cioran, Thomas Bernhard et Kundera.

C’est très bien informé et j’y apprends énormément de choses. Mais ce n’est pas pesant pour autant, c’est enlevé, plein d’humour et par moments franchement drôle. Nancy Huston convoque Déesse Suzy, personnage ou plutôt anti-personnage invoqué par Thomas Bernhard : « On dit Seigneur Dieu, Dieu est un Monsieur n’est-ce-pas, on ne dit pas Déesse Suzy à l’église. Elle n’existe pas. Du reste qui l’adorerait ? Quand elle serait enceinte tous les ans, ce serait pénible, ce n’est pas possible, n’est possible qu’une figure plutôt statique, qui reste là en permanence, pas sans arrêt en mouvement, une fois grosse et l’autre mince ».

Mais Nancy Huston elle, elle aime bien Déesse Suzy. « Merveilleusement érotique et maternelle elle a l’immortalité vraie : celle de la transmission… choses reçues, choses données, la perpétuité grâce au lien. ». Alors en constant dialogue imaginaire avec elle, elle va voir d’un peu près le contexte psychologique, familial et culturel des écrivains néantistes. Ils s’inscrivent dans un contexte général de désenchantement du monde à l’œuvre depuis le 17° siècle, dans l’extension progressive de l’individualité au point d’y inclure les femmes qui s’émancipent et remettent en cause le statut traditionnel de l’homme. Les relations compliquées avec les mères, des éducations rigides, les traumatismes liés à la guerre et à cette innovation absolue de la barbarie nazie qu’est l’holocauste font partie des raisons qui induisent chez certains ces idéologies de la désespérance. Le plus souvent dit-elle les néantistes sont « des enfants mutilés qui ont choisi d’aggraver leur handicap ». L’opposé des résilients.

Leur position les amène à une vision absolument négative de tout, comme un pendant à l’autre extrême qui est la vision utopique, celle des grandes idéologies qui se trouvent battues en brèche après les catastrophes parallèle de l’holocauste et du goulag. Ils campent dans une position élitiste et pleine de mépris pour le monde et les hommes, n’ont pour seul valeur que leur art, montrent un dégoût intense pour ce qui féminin, associé à l’existence charnelle et à la reproduction qu’ils rejettent violemment. Ils se refusent à voir la richesse de la vie, elle n’est pour eux que la dégradation inévitable vers la mort parce qu’ils ne la voient pas aussi comme naissance, perpétuation, cycle, liens entre les êtres et les générations.

Nancy Huston n’a pas une vision mièvre de la vie, il suffit de lire ses romans pour s’en convaincre, d’ailleurs elle a elle-même été très attirée par les sirènes néantistes plus tôt dans sa vie mais elle refuse désormais cet absolu négatif, la vie c’est de la nuance et de la complexité, du tragique et du sublime, la mort et la naissance, la solitude mais aussi la présence aux autres et au monde et à la vie, surtout,c’est ce qu’on en fait : « je déclare que la vie est digne d’intérêt et plus aucun néantiste ne m’en fera démordre ».

Son discours est profondément féminin. Elle l’articule avec cette proximité plus grande qu’ont les femmes à la matérialité de la vie, par les cycles de leur corps, par leur capacité à enfanter et elle juge que sa propre expérience de mère lui a beaucoup apporté (sans pour autant en faire une obligation pour s’accomplir comme femme, elle respecte tout à fait les femmes qui choisissent de ne pas avoir d’enfant).

Je crois assez à cette parole que la femme est l’avenir de l’homme…

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Commentaires
C
Voilà un résumé magistral d'un livre qui m'a aussi marquée...je m'y retrouve tout à fait<br /> Sacrée bonne femme , cette Nancy Huston!<br /> Je vais me plonger dans : "journal de la création" que je viens d'acquérir (recommandé par un ami...)
Les échos de Valclair
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