Mon non palmarès
Cette
semaine c’est le festival cinéma de Télérama. Le principe c’est la remise en
circuit de quelques uns des films de 2005 particulièrement appréciés par le
rédaction du magazine et par les lecteurs qui ont été invités courant décembre
à transmettre leur palmarès. On va tâcher d’en voir un ou deux qui manquent à
notre moisson de l’année.
L’an
dernier je m’étais amusé à faire ce palmarès. Cette année je n’en ai pas eu
envie. Le rapport que l’on entretient avec les films au mois de décembre selon
le moment de l’année où on les a vus, plus ou moins proche, selon le climat
affectif dans lequel on était, introduit de tels facteurs de différenciation
qui n’ont rien à voir avec le film lui-même que l’idée même du palmarès en perd
beaucoup de son sens. En plus les films sont si différents que les classer
paraît assez arbitraire.
Je
préfère cette année pointer deux ou trois films que j’ai vu et qui m’ont
vraiment marqué, qui restent une fois que le temps est passé, plus importants
finalement que ceux que j’ai aimés sur le moment.
Là
dedans, pas de doute, une mention spéciale au « Cauchemar de
Darwin ». Pas du point de vue cinématographique. Mais du point de vue du
fond. Je ne crois pas qu’il y ait un seul film dont je sois sorti plus assommé,
plus terrifié que par celui-là. Quoique l’on voie, quoique l’on lise sur le
mal-développement on ne peut imaginer l’horreur de ce film tant qu’on ne l’a pas
vu. C’est au vingtième siècle (au vingt et unième d’ailleurs), c’est à quelques
heures de vol de chez nous, les scènes les plus misérabilistes de Dickens ou de
Zola sont hélas largement dépassés, ce sont vraiment ici les derniers cercles
de l’enfer, j’y repense souvent avec horreur de là où je suis, avec ma vie
pépère surprotégée et doucettement consommatrice (puisque, bien sûr, nous
sommes des « gens bien », nous évitons d’être trop dans le paraître
et la surconsommation, on achète des produits commerce équitable, trop facile
dédouanement !)
Sinon
il me semble que moins de films m’ont fortement marqué en 2005 que l’année
précédente. Beaucoup m’ont plu sur le moment. Il n’en est guère qui me
reviennent spontanément. Peut-être « Broken Flowers », à la puissante
mélancolie et pour la prestation admirable de Bill Murray. Parmi les moins
connus et médiatisés peut-être « Be with me » à la fois
magnifiquement construit et révélant une figure admirable…
Je
fais glisser l’ascenseur et remonte le long de mon traitement de texte, je
relis les notes écrites sur le moment, c’est plaisant, ça me remémore des
scènes, je retrouve beaucoup de bons moments mais ils ne sont pas là, ils ne
vivent pas avec moi.
Et
je repense aussi du coup à des films dont je n’ai rien dit par manque de
disponibilité sur le moment.
Certains
m’ont agacé ou ennuyé. « Les amants réguliers » par exemple dont la
critique intello a fait grand cas. Quel ennui, que c’est chichiteux,
artificiel, la caricature du cinéma dit d’auteur. D’autant plus décevant pour
moi que j’étais ado dans ces années de l’après 68 et que sans doute je
m’attendais à retrouver dans ce film quelquechose de ce qu’ont été ces années
là pour moi.
Je
me suis ennuyé aussi la plupart du temps en regardant « Le goût de la
pastèque », il s’agit de montrer l’ennui et de le faire ressentir au
spectateur (et certes de ce point de vue c’est réussi) d’un monde urbain vide
de communication entre les gens, saisi en plus par une éprouvante canicule. Il
y a des bruits mais pas de parole (le film est quasiment muet). Les gens vivent
dans de vastes immeubles sinistres, les êtres sont complétement isolés même
s’ils se croisent ou baisent ensemble, les seuls contacts sont ceux que permet
un sexe marchandisé qui s’exprime notamment à travers un tournage porno bas de
gamme et dans la très longue et très éprouvante scène de sexe purement
mécanique et particulièrement sordide de la fin (même si elle se résout
finalement dans une très paradoxale communication). Mais dans tout ça il y a
quelques moments de grâce, lors des tentatives de rapprochement de la fille et
du garçon, dans le désir qui hésite, dans des frôlements inaboutis et dans
cette scène assez magique où le jeune homme fume une cigarette que sa compagne
tient entre les orteils de son pied, scène fort troublante dont j’aurais aimé
qu’elle se prolonge et s’érotise un peu plus.
Un
peu d’ennui certes mais en y repensant tout de même un film beaucoup plus riche
que ces « Amants réguliers » dont décidément je ne retiens rien sinon
mon agacement.
Tant
qu’à faire je peux dire un mot aussi de « Three times » que j’ai vu
il y a quelques temps. J’ai beaucoup aimé. C’est un très bon film, un peu
inégal dans ces trois volets très différents (il s’agit de trois histoires
d’amour sans liens entre elles, se passant à des périodes différentes mais
jouées par le même couple dont les transformations d’ailleurs entre les
épisodes et les personnages qu’ils jouent sont assez impressionnantes). Le
premier (1966) est le plus faible, légèrement ennuyeux dans sa répétitivité, le
troisième (2005), rapide, plein de bruit et de fureur, collant au tempo
vibrionnant de notre temps, le second (1911) aux images superbes, chaque plan
est un tableau, est admirable d’émotion contenue. Cette partie est muette,
soutenu par une musique puissamment nostalgique, les paroles s’inscrivant sur
des cartons, créant un rythme lent et poétique particulièrement prenant, ici on
ne s’ennuie pas une seconde malgré la lenteur. C’est le vrai centre du film
avec lequel les autres épisodes communiquent de façon subtile à travers le jeu
de leurs oppositions principalement dans les façons de filmer, le rythme, les
tonalités dominantes des couleurs.