"Vers le sud"
J’ai
vu l'autre soir ce beau film de Laurent Cantet. Il m’a mis plutôt mal à l’aise
surtout pendant sa première partie. J’ai eu un peu de mal devant ces femmes
affalées sur la plage, devant les signes de leur absolue domination économique
assumée sans la moindre gêne, devant les discours crus et directs de ces consommatrices
de sexualité dans un rapport plus qu’à demi-marchandisé. Mais ce rapport sexuel
est aussi un rapport amoureux, une immense demande amoureuse, presque
effrayante dans sa violence, à la mesure de la solitude et du désarroi de ces
femmes. C’est par là que ce commerce prend sa force et même sa noblesse, loin
de la vision seulement et uniquement mortifère qu’en donne Houellebecq.
Tout
cela est mis en avant sans concession, sans joliesse, qui viserait à nous
charmer, sans rien qui donnerait à priori à ces femmes quelquechose de
sympathique faisant passer avec plus de légèreté leurs amours exotiques (sauf
pour Sue la canadienne mais elle n’est là que comme comparse). Ce refus
d’enjoliver, tout ce qui gêne et met mal à l’aise est aussi ce qui fait la force
du film. La présence de la misère haïtienne et de la violence meurtrière des
tontons macoutes n’est pas là simplement en toile de fond, elle est là comme
une donnée brute, incontournable, la situation aboutit au drame, il est bon
qu’il en soit ainsi pour casser toute les illusions dont on pourrait avoir
envie de se bercer.
Hellen
particulièrement est difficile à supporter (magistrale composition de Charlotte
Rampling), glaciale, hautaine, cynique, sûre d’elle, portant avec elle toute
l’arrogance du Nord. Mais elle cache derrière cette façade qui est une défense
un désespoir, une solitude abyssale, un besoin d’amour qu’elle ne parvient pas
à combler. Finalement elle se révèle moins forte, moins capable de rebond que
Brenda qui au départ paraît plus fragile, elle qui cherche moins à maîtriser,
qui accepte de reconnaître et d’accueillir ses sentiments et son désarroi. Et
tandis qu’Hellen figée comme une statue, morte à l’intérieur, repart vers son
Amérique, Brenda ose remettre sur ses lèvres cette pointe de rouge à lèvres par
laquelle elle affirme que tout n’est pas fini et qu’il faut tenter de vivre et
d’aimer, dans d’autres îles peut-être…
On
ne passe pas un moment vraiment plaisant avec ce film mais on passe en tout cas
un moment rudement intéressant qui donne à penser et à ressentir et on ne
regrette pas de l’avoir vu. Ça me donne envie aussi du coup d’aller lire Dany
Laferrière qui a écrit les nouvelles dont est tiré le scénario, je n’ai rien lu
de lui et le connaissais fort peu jusque là, j’avais seulement commencé à
dresser une oreille attentive à son sujet après le billet très louangeur que
lui a récemment consacré Samantdi.