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Les échos de Valclair
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9 mai 2006

Villa Amalia

J’ai lu ce week-end ce bouquin de Pascal Quignard. C’est un livre étrange à la construction déroutante. Il me laisse une impression mitigée.

Ça part bien, très bien même. C’est l’histoire d’une femme musicienne, Ann Hidden, nom qui n’est pas de hasard, qui est saisie soudain par le sentiment d’une sorte d’étrangeté, d’extériorité à tout et notamment à son mari suite à une supposée (ou seulement fantasmée ?) infidélité sa part. Elle prépare alors de façon tout à fait radicale et dans le secret le plus total sa disparition, vendant secrètement ce qui lui appartient, en particulier la maison qu’habitait le couple. Elle se retrouve dans une île de la côte amalfitaine, allégée de tout et va y commencer une nouvelles vie. J’ai beaucoup aimé les deux premiers tiers du livre, structurés par ce thème de la disparition, de l’abandon de tout puis de la reconstruction : c’est un thème qui m’a toujours fasciné littérairement mais aussi en écho à ma propre vie, à mes propres impuissances plutôt, moi qui ait toujours eu le plus grand mal à oser des ruptures de quelque ordre qu’elle soit, y compris les plus modestes. Oser aller au bout des peurs pour pouvoir renaître. Dans la même page (p 115) il y a à la fois l’atteinte à force d’abandons de « la peur souche » et dans le même mouvement, celle-ci enfin atteinte, accueillie, le surgissement d’autre chose « une joie sourde ». L’essentiel est atteint, cet essentiel qui tient à peu de choses « l’essentiel se transporte si aisément » (p 123). La musique que compose Ann Hidden est aussi recentrage sur l’essentiel, l’intérieur, elle compose en réinterprétant, réduisant, épurant. Elle voue un véritable sentiment amoureux à la maison dans laquelle elle s’installe, une maison de plein ciel accrochée dans la falaise et masquée par la végétation, son paradis. Le style est concentré à l’égal du sujet, plein de ruptures de ton et de tempo, prose poétique déliée ou style presque télégraphique, description en épaisseur d’une sensation infime ou évènements complexes et inscrits dans la durée ramassés en trois lignes, cette forme de narration inhabituelle passe très bien parce qu’elle colle avec la subjectivité du personnage.

La 3° et la 4° parties, plus courtes, à mon sens, gâchent tout. Je ne comprends pas vraiment ce que Quignard a voulu faire ou montrer. Quantité d’autres personnages apparaissent, l’histoire antérieure d’Ann Hidden est convoquée, le récit s’évade dans toutes sortes de directions qui ne sont pas exploitées, les années défilent, les événements passent, les relations se créent ou se dénouent, éventuellement dans le drame, développant une sorte de biographie du personnage qui paradoxalement lui fait perdre de sa réalité et de sa force. Les ruptures de tempo sont de plus en plus nombreuses et cette fois semblent gratuites.

Peut-être s’agissait-il de dire qu’il n’y a pas de paradis, fut-ce la villa Amalia, que la douleur est là, la mort des amours et des êtres, que même cet essentiel frôlé échappe finalement sous la mousse de ce qui advient. Peut-être aurais-je aimé que ces douleurs soient sublimées, ce que le récit ne fait pas, ce qu’il s’interdit de faire justement par sa façon de s’échapper sans cesse dans les chausse trappe des évènements dénués de sens.

Peut-être. Quignard est un écrivain de qualité. Il ne s’agit sûrement pas d’une fin ratée parce que bâclée, sans doute est-elle le produit de choix réfléchis dans un dessein précis mais celui ci m’échappe me laissant décontenancé par ce texte qui dans certaines de ses pages est si beau et si prenant.

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Commentaires
V
Merci les Val, Valérie (on va finir par se mélanger les pinceaux avec ce prénom!) de vos passages sur ce vieux billet revenu dans l'actualité.<br /> J'ai relu le livre pendant mes vacances, j'ai eu le même plaisir et les mêmes réserves, et je trouve que le film finalement magnifie le livre. Mais je vais en dire un mot dans un prochain billet.
V
Bonjour,<br /> <br /> Je viens de découvrir votre blog. <br /> je suis sensible à votre écriture et de ce que vous nous dites de Villa Amalia. Pascal Quignard fait parti de mes bonheur(s) solitaires et ce livre là m'a rhabillé de la tête au pied.. ou des pieds à la tête je ne m'en souviens plus.. en tous cas j'ai vu le film..je me suis retrouvée dans un autre Villa Amalia .. mais tout aussi émotionnel et conducteurs de grandes réflexions.. comme si .. on devait encore et encore se souvenir que l'essentiel.. est dans notre regard.. comme si.. notre horizon devait être encore plus loin.. jusqu'où on ne voit pas...merci pour cet espace..de rencontres, Valclair ! A bientot, j'espère !
V
Bonjour,<br /> <br /> Je suis actuellement en train de lire ce livre, que je trouve émouvant, plein de sensibilité, et je suis déçue par avance que la fin du livre puisse paraitre "décousue" voire désinvolte.<br /> <br /> Mais j'en dirai plus dès que j'en arriverai à la troisième partie (oui, je lis doucement, histoire de faire durer le plaisir).<br /> <br /> Pour l'instant, ce qui me touche particulièrement, c'est la singularité du personnage principal, Ann Hidden. Son envie de rupture d'avec le continuel de la vie quotidienne ne date selon moi pas d'hier: ce n'est pas uniquement car elle a surpris son époux en flagrant délit adultérien qu'Ann décide de tout quitter: elle est habituée au changements de nom, elle qui s'appellait jadis Eliane. <br /> Je m'étonne également de la grande froideur du personnage, qui reste pourtant si attachant, si vraie, brute. <br /> J'aime bien les contrastes, et ce livre en est bourré.
I
J'ai relu tout récemment "Les ombres errantes" et "Les escaliers de Chambord", et je me suis laissé emporter par le charme merveilleusement nostalgique de cette écriture. Et puis, Pascal quignard est l'auteur des textes du sublime "Le sexe et l'effroi" paru en 94 chez Gallimard. Une autre vision de l'érotisme ...<br /> Ton joli message me donne envie de découvrir la "Villa Amalia".
C
Je ne connais pas du tout cet auteur, Val...<br /> POurquoi n'écrirais-tu pas à l'auteur en lui signalant cette page de ton blog où tu parles de lui et de son livre?<br /> Je sais pour les fréquenter (ben oui!) que les écrivains aiment être interrogés intelligemment sur leur oeuvre..<br /> Et ceci me semble être une page qu'un auteur aimerait lire à propos de son livre...
Les échos de Valclair
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