Villa Amalia
J’ai lu ce week-end ce
bouquin de Pascal Quignard. C’est un livre étrange à la construction
déroutante. Il me laisse une impression mitigée.
Ça part bien, très bien
même. C’est l’histoire d’une femme musicienne, Ann Hidden, nom qui n’est pas de
hasard, qui est saisie soudain par le sentiment d’une sorte d’étrangeté,
d’extériorité à tout et notamment à son mari suite à une supposée (ou seulement
fantasmée ?) infidélité sa part. Elle prépare alors de façon tout à fait
radicale et dans le secret le plus total sa disparition, vendant secrètement ce
qui lui appartient, en particulier la maison qu’habitait le couple. Elle se
retrouve dans une île de la côte amalfitaine, allégée de tout et va y commencer
une nouvelles vie. J’ai beaucoup aimé les deux premiers tiers du livre,
structurés par ce thème de la disparition, de l’abandon de tout puis de la
reconstruction : c’est un thème qui m’a toujours fasciné littérairement
mais aussi en écho à ma propre vie, à mes propres impuissances plutôt, moi qui
ait toujours eu le plus grand mal à oser des ruptures de quelque ordre qu’elle
soit, y compris les plus modestes. Oser aller au bout des peurs pour pouvoir
renaître. Dans la même page (p 115) il y a à la fois l’atteinte à force
d’abandons de « la peur souche » et dans le même mouvement, celle-ci
enfin atteinte, accueillie, le surgissement d’autre chose « une joie
sourde ». L’essentiel est atteint, cet essentiel qui tient à peu de choses
« l’essentiel se transporte si aisément » (p 123). La musique que
compose Ann Hidden est aussi recentrage sur l’essentiel, l’intérieur, elle
compose en réinterprétant, réduisant, épurant. Elle voue un véritable sentiment
amoureux à la maison dans laquelle elle s’installe, une maison de plein ciel
accrochée dans la falaise et masquée par la végétation, son paradis. Le style
est concentré à l’égal du sujet, plein de ruptures de ton et de tempo, prose
poétique déliée ou style presque télégraphique, description en épaisseur d’une
sensation infime ou évènements complexes et inscrits dans la durée ramassés en
trois lignes, cette forme de narration inhabituelle passe très bien parce
qu’elle colle avec la subjectivité du personnage.
La 3° et la 4° parties, plus
courtes, à mon sens, gâchent tout. Je ne comprends pas vraiment ce que Quignard
a voulu faire ou montrer. Quantité d’autres personnages apparaissent,
l’histoire antérieure d’Ann Hidden est convoquée, le récit s’évade dans toutes
sortes de directions qui ne sont pas exploitées, les années défilent, les
événements passent, les relations se créent ou se dénouent, éventuellement dans
le drame, développant une sorte de biographie du personnage qui paradoxalement
lui fait perdre de sa réalité et de sa force. Les ruptures de tempo sont de
plus en plus nombreuses et cette fois semblent gratuites.
Peut-être s’agissait-il de
dire qu’il n’y a pas de paradis, fut-ce la villa Amalia, que la douleur est là,
la mort des amours et des êtres, que même cet essentiel frôlé échappe
finalement sous la mousse de ce qui advient. Peut-être aurais-je aimé que ces
douleurs soient sublimées, ce que le récit ne fait pas, ce qu’il s’interdit de
faire justement par sa façon de s’échapper sans cesse dans les chausse trappe
des évènements dénués de sens.
Peut-être. Quignard est un
écrivain de qualité. Il ne s’agit sûrement pas d’une fin ratée parce que
bâclée, sans doute est-elle le produit de choix réfléchis dans un dessein
précis mais celui ci m’échappe me laissant décontenancé par ce texte qui dans
certaines de ses pages est si beau et si prenant.