Retour sur un week-end toulousain
Donc je reviens sur le
week-end de la semaine dernière. Déjà une semaine ! L’écrire, vite, avant
que les impressions vivantes ne s’effacent… Pfou que le temps passe…
J’étais à Toulouse pour un
séminaire organisé par l’APA autour de l’écriture autobiographique sous ses
diverses modalités, journal, autobiographie, autofiction, non pas tant du point
de vue du lecteur que de celui de l’écrivant. Comment écrit-on sur soi, quels
sont « les tours et les détours du m’écrire » pour reprendre le titre
d’un des ateliers ? Et qu’est ce d’abord que ce moi qui écrit ?
Quelle est sa réalité ? Quelle est sa vérité ?
On se rend compte que ces
questions que nous nous posons nous, diaristes en ligne, qui sont chez nous
exacerbées par la présence immédiate de notre lectorat, par notre inclusion
dans un processus de communication très prégnant, et bien ces questions là,
elles sont présentes aussi dans toute écriture de soi, y compris celle qui se
veut la plus privée, celle de celui qui écrit un journal sans aucune
perspective de communication, ni aujourd'hui, ni demain, ni post-mortem, celui
qui écrit un journal avec l’idée de le détruire. Ensuite tout est une question
de degré, tout est dans la façon de construire « le juste écart », de
négocier ou de s’arranger avec soi-même, avec son double, avec les autres,
fut-ce inconsciemment. Le moi est une fiction a dit Michel Cazenave, c’est une
fiction nécessaire, c’est l’image que l’on construit de soi et ce que l’on en
dit est, ou du moins peut être, une fiction véridique.
C’est dire au fond que le
moi n’existe que dans ses manifestations, dans les mots qu’il produit, dans les
réverbérations du monde et des autres sur nous-mêmes. Yourcenar peut dire à la
fois que le moi est « inconsistant et flottant » et en même temps
qu’il est « un cristal traversé ». C’est une vision qui rejoint la
conception du moi dans les philosophies orientales, j’ai du mal à le verbaliser
exactement mais je vois très bien à quoi ça fait référence, les quelques moments
de pratique et de réflexion autour du yoga que j’ai eu l’occasion
d’expérimenter me font ressentir cela très bien.
Toutes ces réflexions m’ont
paru en fait contribuer, en mettant à distance, à déminer une bonne part des
critiques qui peuvent être faites de l’investissement dans une écriture centrée
sur soi, cette fiction là après tout, puisque c’est celle qui nous accompagne
au long de notre vie, il est bien normal qu’on s’y attarde. Ces réflexions participent
aussi sans pour autant en être le plaidoyer, au processus de légitimation de
nos petites écritures diversement autobiographiques qui ne valent pas mieux que
d’autres mais pas moins non plus, elles s’inscrivent dans un être au monde qui
vaut autant que d’autres, ce n’est pas désagréable d’entendre dire cela au pays
où « l’hydre autobiographique » est souvent si violemment prise à
partie.
Mais ont été dites aussi des
choses intéressantes sur les moyens d’écrire. La part de l’entraînement et du
travail a été réaffirmée par beaucoup et ça j’aime bien l’entendre redire.
Comme a été soulignée la socialisation croissante du processus
d’écriture : légitimation de celle-ci par le regard des autres (et à cette
légitimation, l’APA contribue sérieusement, si je me suis remis à écrire c’est
bien aussi parce que j’ai rencontré cette association), écriture partagée dans
les ateliers d’écriture, regards croisés que nous nous portons à travers nos
blogs. A été discutée aussi la part des règles que l’on se donne ou des
consignes. Celles-ci sont-elles centrales, structurantes par elle-même, est-ce
que « la forme préexiste au fond » comme semble le penser l’Oulipou
ou bien la règle, la consigne n’est-elle qu’un déclencheur, qu’un
« démarreur », au sens précis du démarreur dans un moteur, destinée à
ouvrir les vannes et dont il importe peu au final qu’elle soit enfreinte ?
Je me rends compte en
écrivant que je m’envole sur les ailes de ma propre réflexion/rêverie et que je
tire peut-être de ce qui s’est dit des idées qui n’y étaient pas, ce n’est pas
un compte rendu, c’est juste la trace laissée dans ma subjectivité de tous ces
mots échangés
L’écrivain Anne Garetta a
dit des chose fortes et brillantes mais plutôt tranchées et sèches semblant la
situer assez violemment (quoique assez paradoxalement) dans un camp
anti-autobiographique. C’est toujours agréable une expression brillante, la
clarté et la vigueur de l’énonciation, je l’ai écoutée avec plaisir et avec
intérêt. Mais je ne me suis pas senti à l’aise devant son discours. Il y avait
là une belle machinerie intellectuelle fonctionnant à plein rendement mais on
avait l’impression que la personne, elle, n’était pas là. Elle n’a pas, pendant
tout la durée de sa présence, enlevé les lunettes noires qui cachaient ses
yeux. Peut-être y avait-il à cela une bonne raison médicale ou autre mais alors
il eut fallu le dire. Sinon ce ne pouvait être perçu que comme une volonté de
se masquer, plutôt paradoxale pour parler du moi, enfin pas tant que cela
s’agissant d’elle, symbolique plutôt de sa position. J’avais un autre motif de
gêne à son égard, celui ci moins avouable et qui me fait même un peu honte, c’était
cette gêne que je ne peux m’empêcher de ressentir quoique je cherche à m’en
défendre devant un brouillage trop profond ou trop agressif des repères
habituels d’identité sexuelle. Cela dit je n’avais jamais lu Anne Garetta, elle
m’a suffisamment intrigué pour que j’achète un de ses livres « Pas un
jour » et le voilà en attente avec d’autres dans ma PAL (pile à lire).
Les mots simples, plus
modestes de Bruno Ruiz un auteur et chanteur toulousain m’ont infiniment plus
parlé justement parce que cette fois la personne était là, elle était avec
nous, embarquée dans un même bateau avec nous les écrivants anonymes, non pas
au-dessus dans l’empyrée de la littérature ou de l’analyse intellectuelle. Lui
il faisait écho, affectivement, émotionnellement et pas seulement
intellectuellement. La modestie revendiquée du discours, la mise en relation de
son parcours personnel et professionnel avec l’écoute admirative d’un oncle qui
chantait dans les fins de banquets, ses efforts pour se dire et pour au travers
des mots rejoindre les autres, cette « mise en énergie » de la
parole, cette écriture au présent qui est « un plaisir douloureux qui à la
fois me rapproche et m’éloigne du monde », oui, j’ai mieux aimé tout cela,
cette présence là, et j’y ai glané au passage quelques formules que j’ai mises
dans ma besace avec reconnaissance.
Bien sûr il a été aussi
question de l’écriture en ligne. Un atelier y était consacré auquel j’ai
participé. Sans dire qui j’étais dans la blogosphère. Je suis toujours dans le
même paradoxe là-dessus. Je peux me citer, en étant parfaitement à l’aise comme
s’il s’agissait de quelqu’un d’autre. Je suis même surpris de cette facilité.
C’est si simple d’être deux et que l’un regarde l’autre ! C’est si simple
de mentir. Enfin pas tout à fait car je ne mens pas. J’omets simplement. Je ne
fais même plus rien désormais pour rendre l’identification difficile. Il est
assez facile de faire le lien. Sauf que je ne le ferai pas moi-même et ne veux
pas que quiconque le fasse à ma place, je n’associerai jamais publiquement les
deux noms, simplement petit à petit de plus en plus de gens feront d’eux-mêmes
ce lien.
Le dimanche soir une fois
les lampions apaïstes éteints et avant de prendre mon train, j’ai retrouvé mon
identité de blogueur. J’ai pu avoir de longues discussions off avec Coumarine
qui avait fait le voyage de sa lointaine Belgique, on a failli avoir le plaisir
de passer un moment avec Samantdi mais un déménagement à forte valeur ajoutée
gastronomique et conviviale l’a retenu au pays du Café des Platanes, enfin j’ai
découvert un poulpe charmant, si, si, il en existe de fort sympathiques et dont l'encre fait des merveilles, merci de ton accueil très chaleureux comme de la
richesse de tes mots, Miss Poulpi. Puisque je pratique beaucoup les
parenthèses, ce moment là c’était en quelque sorte la parenthèse dans la
parenthèse et pas le moins bon moment de ce riche week-end.