Au pied de la Tour Eiffel
J’étais parti hier dimanche en début
d’après-midi pour aller découvrir le Musée du Quai Branly. Quel temps délicieux
pour cette mi-octobre. Un soleil généreux et doux qui permet de se promener
blouson ouvert, juste un soupçon de brume pour adoucir la lumière, les feuilles
qui commencent à se colorer d’automne. Impossible dans ces conditions d’aller
s’enfermer à l’intérieur, envie de profiter jusqu’au bout de cette douceur qui
se prolonge, la visite du Musée ce sera pour les temps de pluie et de frimas…
Plaisir de la photo, plaisir d’attraper des bouts de paysage, paysages mille fois vus mais que la mise en image peut faire percevoir sous des angles inhabituels, plaisir aussi d’attraper des bouts de vie. Promenade en bords de Seine, autour de la Tour Eiffel, dans les jardins du Champs de Mars. Les touristes en troupe bien sûr mais aussi des visages, des attitudes, des individualités singulières. Trois mamis sous la cathédrale de métal, ce type lisant impavide assis à même la dalle de bitume au milieu de la foule, plus loin la douceur des pelouses où se reposent des promeneurs, se bécotent des amoureux. Voici des enfants du quartier, (oui il y en a !) jouant au ballon un peu à l’écart près de leurs beaux immeubles hausmanniens, fillettes en jupe plissées, garçons en impeccables pantalons style culottes de golf, sortant d’un repas de famille peut-être, voici ces deux belles jeunes femmes s’embrassant à bouches passionnées, voici, vision moins plaisante, des militaires sous leur béret rouge qui patrouillent mitraillette au poing.
Passent une troupe de musiciens. Je les suis. Ils s’arrêtent un peu plus loin, sur la place Jacques Rueff et commencent à donner l’aubade. La foule nombreuse attend manifestement quelque chose. La circulation est coupée, il y a des mouvements divers des organisateurs, on nous fait reculer, je ne m’enquiers pas sur ce que l’on attend, préférant la surprise. Débarque un défilé de bus anciens de la Ratp, précédé de chars évoquant à chaque fois une période, les poilus de la grande guerre, le temps des premiers congés pays, Saint Germain des années 50, les années plus proches. Et voici les bus modernes, les prototypes non encore en service, les bus écolos, bref c’est une opération de communication, mais il y en a de pires, je suis bon public. De l’amour encore dans la foule : une jeune femme fait glisser lascivement sa jambe court vêtue et joliment bottée entre celles de son compagnon, je m’amuse à tenter d’en voler l’image mais n’est pas Doisneau qui veut !
Plaisir aussi des écarts. S’éloigner de la foule. A trois pas il y a des coins infiniment calmes, une pièce d’eau, un héron méditatif, un somptueux platane au feuillage d’or. C’est là que je m’assieds un moment pour griffonner quelques mots dont ensuite j’ai fait cette note.
Je fais ce genre de
promenade en solitaire. Constance sollicitée souhaite le plus souvent pendant
ses week-end des rythmes très lents ou encore s’assomme de choses matérielles à
faire. M’est avis qu’elle s’impose certaines obligations qui n’en sont pas.
Mais suis-je aussi assez persuasif pour l’entraîner à sortir de ses
routines ? Est-ce que je fais tout ce qu’il faut pour recréer du lien,
pour recréer de l’envie ? Ce n’est pas si sûr. Ambivalence de ma part. Je
m’arrête car sinon je me laisserai porter à aller trop loin.
Et puis d’une certaine façon
j’aime bien ces promenades solitaires. Cela me donne cette légèreté de
déplacements juste là où l’impulsion de mon pas ou de mon regard me conduit,
qui me permet d’aller et venir, m’attarder, laisser traîner mon regard là où je
le veux, m’éterniser dans la prise d’une photo, attendant le moment propice,
sans être gêné d’imposer le rythme propre de mon musardage à autrui. Mais j’y
ressens aussi parfois le manque de l’échange et du partage, ce besoin d’être deux,
que ramène avec elle souvent, comme une nostalgie, les images des amoureux
croisés.