"Lady Chatterley"
J’ai vu l’autre jour le beau film de Pascale Ferran d’après l’amant de Lady Chatterley de D.H.
Lawrence.
Tout le monde connaît
l’histoire de cette femme délaissée par un mari revenu de la guerre paralysé et
impuissant, rongée d’ennui dans son manoir perdu au fond de la campagne
anglaise et qui noue une relation très sexuelle avec le garde-chasse du
domaine. C’est un livre culte que tout adolescent, du moins au temps de ma
propre adolescence, cherchait à lire, éventuellement en cachette, attiré par sa
réputation sulfureuse. Je l’ai lu moi aussi mais je n’en ai pas gardé un
souvenir impérissable. Peut-être était-ce soit trop tôt soit trop tard, j’étais
déjà trop affranchi de ces choses et n’y avais rien trouvé de très frappant sur
le plan érotique sans avoir la maturité pour percevoir le reste. En tout cas
j’ai maintenant envie de le relire, de lire surtout la seconde version dont
s’est inspirée le film « Lady Chatterley et l’homme des bois »
puisque semble-t-il les versions sont assez différentes.
C’est un film de peu de mots
du moins dans l’essentiel de sa durée. La frustration de Constance Chatterley
puis sa progressive découverte de la sensualité apparaît de façon très
visuelle. On devine tout à travers son regard, son visage, dans la vibration
même de sa peau et de son corps. Elle aborde cet apprentissage de la jouissance
avec simplicité, sans anxiété, avec naturel, j’ai envie de dire avec pudeur,
tout simplement parce qu’il n’y a là ni complexe stratégie de séduction, ni
tortueuses interrogations de conscience dictées par la morale ou les
convenances sociales, c’est une rencontre qui simplement survient, qui
s’accomplit comme une évidence, portée aussi par le mouvement général de la vie
tout autour au milieu d’une nature très présente, vibrante dans l’explosion du
printemps puis dans le passage des saisons. Et sans doute est-ce cela, cette
simplicité et cette évidence dans l’affirmation de la sexualité qui a choqué et
conduit à la longue interdiction de ce livre, le scandale étant encore aggravé
par la distance sociale des partenaires et par la part active que prend la
femme.
Au fil des rencontres en
effet Constance se découvre, découvre sa jouissance mais au delà elle révèle à
Parkins sa propre richesse. Celui-ci au départ apparaît comme un homme simple
et frustre, à l’image de son corps lourd, massif, terrien, il n’ose pas
exprimer sa grande sensibilité paralysé qu’il est à la fois par ses précédents
déboires sentimentaux et par un complexe d’infériorité sociale, un sentiment d’inconvenance en face de
Constance. Elle prend quant à elle des initiatives sans aucun sentiment de
honte, c’est elle qui demande à le contempler nu, elle qui demande à ce qu’il
ne souffle pas la bougie, elle qui lui demande de lui laisser approcher son
corps et le caresser, c’est une des plus belles scènes du film, à la fois
pudique et très érotique, cette approche retenue qu’elle initie, ce
frémissement des épidermes dans l’instant de l’attente.
La réussite du film repose
largement sur la façon dont il est interprété et filmé. Chapeau à Marina Hands
et à Jean-Louis Coulloc’h de parvenir à faire passer cette belle mise en
mouvement de la sensualité, à travers les visages, les regards et les corps,
chapeau à la réalisatrice pour avoir su filmer au plus près des peaux sans
absolument rien de lourd ou de vulgaire.
Il y a bien quelques
facilités et quelques faiblesses. La scène où les deux amants nus courent et
dansent sous la pluie est certes plastiquement belle mais tout de même un peu
convenue, le message panthéiste d’harmonie avec le grand tout de la nature un
peu lourd. Et puis surtout il y a l’extrême fin dont je ne saisis pas la
justification : les amants se retrouvent après une séparation et la peur
de s’être perdus, ils se mettent à parler, à faire des projets d’avenir, à
rebâtir le monde et leur monde, leurs mots me paraissent improbables et faux.
Dommage. Le film se serait terminé sur de simples retrouvailles ou même en
suspens dans l’indétermination, il me semble qu’il aurait été plus fort.