Anxiété
Une récente entrée de la
Discrète m’a amené à repenser aux phénomènes d’anxiété face à la mise en jeu
publique de soi, notamment à travers les prises de parole.
Et j’y ai d’autant plus
repensé que le même jour je donnais moi-même une conférence dans un cadre qui
ne m’est pas du tout familier, face à un public relativement nombreux et
inconnu et que j’ai ressenti quelques uns des troubles que ce genre de
situation m’occasionne, heureusement cette fois ci d’une façon qui n’a pas été
trop violente.
Je me connais. Je sais que
je maîtrise assez bien la parole en public, qu’en général mes interventions
passent bien, qu’elles sont appréciées et qu’au final lorsque j’en sors je m’en
sens plutôt satisfait et valorisé. Et pourtant je ne peux éviter avant ce type
d’intervention de traverser des moments très désagréables, marqués même de
manifestations somatiques : appétit coupé, mal de ventre, mal de crâne, et
parfois jusqu’à des palpitations. Je suis porté par l’imagination de tout ce
qui peut mal se passer, depuis la panne de métro qui me mettrait en retard, le
matériel technique qui ne voudrait pas fonctionner, mon élocution qui
s’embrouillerait, la panne des mots et l’angoisse de me retrouver soudain vide
de tout ce que j’avais à dire. Les malaises psychosomatiques entretiennent eux
même la panique puisque je me mets à imaginer en les ressentant qu’ils
pourraient prendre plus d’ampleur, aller peut-être jusqu’à me plonger dans la
paralysie complète ou me faire tourner de l’œil devant mon public. Au point qu’il
m’est arrivé de me dire dans ces moments d’avant : « Plus jamais ça,
ce n’est décidément pas pour moi, je ne ferais plus d’intervention de ce
type ».
Ce que je trouve incroyable
c’est que la raison n’a rien à voir à l’affaire. Je peux en même temps ressentir
ces malaises, avoir ces imaginations délétères et me dire : « ça se
passera bien comme d’habitude ». Il n’y a pas connexion entre les
deux .
Comme si l’anxiété était
beaucoup plus profonde, comme une ligne sous-jacente, rattachée à des peurs
archaïques, à un manque d’assurance de soi, à une peur des autres, comme si
elle était un retour du refoulé, de tout ce que je cache à l’extérieur en
affichant une assez grande aisance sociale.
Car socialement en effet cela ne se voit pas. Je ne donne pas du tout l’impression d’être quelqu’un de coincé. Ceux qui me voient fonctionner, ceux qui côtoient mon personnage social dans la vie associative, dans la vie professionnelle ne peuvent imaginer que je puisse avoir parfois de telles terreurs sous-jacentes et à peine conscientes. Ce sont elles pourtant qui ont entraîné les difficultés que j’ai toujours eu pour aller vers les gens, je veux dire pour aller vers les gens au cœur et vers les femmes en particulier, au-delà des relations superficielles que peut entretenir le personnage social.
Mais le paradoxe c’est que
j’ai l’impression que cette anxiété de fond a tout de même reculé à travers ce
que j’ai pu apprendre de moi, à travers mes expériences de vie, à travers
l’acquisition d’une forme de maturité et peut-être l’accession à un début de
sérénité. Mais dans les manifestations extérieures, dans le ressenti de ces
malaises qui précédent l’action, elles auraient au contraire tendance à
s’accentuer à mesure que passent les années. Je n’avais aucun trouble
psychosomatique (enfin bien moins) pour prendre la parole quand j’étais plus
jeune alors que mon insécurité profonde était certainement plus grande. Est-ce
que le vieillissement en lui-même mettrait en jeu d’autres paramètres ? Ou
est-ce que cette capacité à gommer l’anxiété pour ce qui était de l’expression
extérieure était une ruse habile pour masquer ou du moins tenir à distance
l’anxiété profonde, plus radicale, dans les relations interpersonnelles, dans
les relations intimes, dans les relations des cœurs et des corps ?
Il y a d’étranges
découplages que je ne m’explique pas bien.
Tout ça ne doit pas être
très clair parce que ça ne l’est pas dans ma tête...