"L'amour soudain"
C’est un beau livre d’Aharon
Applefeld que j’ai fini il y a déjà quelques jours et dont je ne mets en ligne
qu’aujourd'hui le commentaire.
Il confronte un
vieil homme Ernest qui termine sa vie en Israël et une jeune femme Irena qu’il
prend à son service.
L’homme est écrivain, très
occupé de questionnements existentiels, confronté à la difficulté d’écrire, à
la difficulté de trouver sens. Originaire d’Europe centrale, il s’est engagé
dans les années 30 avec les communistes porté par la volonté de rompre avec le
passé et avec les traditions désuètes des paysans juifs dont il est issu, a
fait la guerre comme officier de l’armée rouge, a bourlingué avant d’aboutir en
Israël où il s’est adapté plutôt laborieusement. Il écrit, tente d’écrire,
traversé de violents accès de mélancolie.
Elle est une femme simple,
elle n’a pas fait d’étude, manipule difficilement les mots mais lorsqu’elle le
fait ceux-ci sont « d’une désarmante simplicité », elle vit portée
par sa pitié filiale dans l’appartement de ses parents qu’elle conserve et
entretient bien que ceux-ci soient morts depuis longtemps, elle communique
souvent avec eux, par delà l’absence. C’est « un cœur simple » à
l’égal de celui, également d’une servante, dont Flaubert avait dessiné
l’admirable portrait.
Elle s’attache au vieil
écrivain. Sa présence attentive, sa patience, ce don quasi absolu d’elle même
qu’elle consent sans calcul, vont conduire Ernest à revisiter son passé le plus
ancien, il retourne à son tour vers les temps de l’enfance, dans ce monde d’avant,
auprès de ses grands parents dans les montagnes des Carpates, il
« voit » ce passé qu’il croyait oublié, le décrit comme s’il était
là, la vision est idyllique, c’est celle d’une vie avare de mots parce que les
mots sont inutiles, les êtres collent au monde, ils vivent dans l’évidence,
dans une simplicité toute biblique.
L’écriture est sobre, presque sèche, volontairement assez répétitive, il n’y a pas de pathos, pas de grandes considérations psychologiques, elle est essentiellement descriptive, ce jour ci Ernest a fait et pensé ceci et Irena a fait et pensé cela, et ainsi se succèdent les jours et se construit peu à peu la figure d’une puissante entrée en amour.
L’amour est un sentiment très large, un sentiment global d’adhésion au monde qui inclut l’amour humain, celui qui se décline dans les relations interpersonnelles. Il n’est pas surprenant qu’un soir où Ernest a serré Iréna contre lui dans un accès de tendresse humaine, celle ci troublée « finalement s’assit et lut le journal d’Etty Hillesum qui était morte pendant la Shoah… « l’amour des hommes et l’amour de Dieu sont une seule et même chose » se dit Iréna et cette pensée l’effraya ».
Même si ce livre est un
roman il comporte une part d’autobiographie l’auteur partageant certainement
bien des traits et bien des souffrances avec Ernest comme on peut s’en rendre
compte en lisant son récit pour le coup clairement autobiographique
« Histoire d’une vie » que j’avais lu avec beaucoup d’émotion l’an
dernier.