"Bamako"
Le fiston est de retour de
Cambridge pour une petite période de vacances chez ses vieux ( !) parents.
Hier en fin d’après-midi après le bureau je lui avais donné rendez vous pour
aller voir « Bamako ». Je m’étais réservé ce film pour y aller avec
lui qui a passé deux mois au Mali l’autre été, à la fois à Bamako et dans un
village à une centaine de kilomètre plus au sud, où il participait à un projet
de développement.
C’est un film intéressant,
déroutant au premier abord mais comme l’est l’Afrique pour la plupart d’entre
nous. Il donne à voir un procès fictif mais utilisant des arguments bien réels
que l’Afrique pourrait faire à la Banque mondiale. Mais ce procès qui se
déroule selon les canons habituels de la procédure se tient en plein air dans une
cour de maison qui est celle-là même où a grandi le réalisateur. Les témoins
viennent déposer tour à tour, toutes sortes de témoins victimes des
« ajustements » qu’imposent les organisations internationales, des
femmes, des hommes, des intellectuels, un ancien prof, un paysan aussi, assez
extraordinaire dans sa litanie à laquelle on ne comprend rien puisqu’elle est
en langue locale non traduite mais qui est pourtant d’une expressivité
extraordinaire, on ne comprend rien mais on comprend tout. Les plaidoiries de
la défense et de l’accusation se succèdent, le public écoute studieusement
tandis que la vie tout autour continue. Des femmes teignent des tissus, un
homme jeune se meurt de maladie, les gens vont et viennent, vaquent à leur
occupation, s’arrêtent un moment pour écouter, passe une noce…
Il y a les discours bien sûr
mais il y a surtout des visages sur lequel la caméra s’arrête, celle des
témoins comme celle des habitants du quartier. C’est dans cette interaction
entre les discours et les regards, les attitudes de tous ceux qui sont là,
public du procès et habitants du quartier, que se construit progressivement la
force du film.
On suit en particulier à
plusieurs reprises entre le lieu du procès où elle habite et le cabaret où elle
travaille une femme magnifique qui est chanteuse. Elle est pleinement de ce
monde et semble en même temps planer au-dessus. Dans sa démarche altière, dans
son corps très droit, dans sa belle voix sensuelle lorsqu’elle chante, dans son
regard qui soudain se mouille de larmes, passe une poignante tristesse mais
aussi toute la dignité silencieuse, toute l’énergie d’un peuple malmené.
Le procès est vif, les
attaques intenses mais pas unilatérales, le défenseur est certes malmené par
les faits mais pas ridiculisé, pas caricaturé, la condamnation réclamée est
symbolique et aurait valeur de reconnaissance, elle n’est pas porteuse de
volonté de revanche ou de haine.
Même si la vie continue la
tonalité générale est plutôt sombre. A la fin le revolver qui a été volé,
élément d’une intrigue minimale qui court tout le long du film, sert à un
suicide (si j’ai bien interprété cette scène, très brève), l’avenir décidément
est difficile.
C’était agréable en revenant
de discuter avec Taupin là-dessus, de confronter sa vision à la mienne. Même
s’il aurait aimé que le film nous fasse sortir un peu plus de la cour du
procès, il m’a dit y avoir reconnu au-delà du dispositif fictionnel du procès
beaucoup de l’ambiance de ces deux mois maliens, notamment dans la façon dont
s’interpénètrent façons d’être officielles et cérémonieuses et la vie
quotidienne la plus immédiate. Il m’a dit y retrouver tout le charme et la
force des séances de palabres auquel il a participé avec le conseil du village,
avec les enfants jouant au milieu, les femmes vaquant autour, une sorte
d’immédiateté de la vie.
J’en profite pour vous recommander le beau blog « Chemins de poussières », d’un homme très attiré par l’Afrique, très sensibilisé aux difficultés qu’elle subit et qui en parle, entre bien d’autres sujets, avec une grande sensibilité quoique de façon souvent assez désespérée (mais hélas on peut le comprendre).