Ricochet 2005: A l'hôtel de Bonne Rencontre
Il ne s’appelait pas ainsi,
il portait un nom des plus banals dont d’ailleurs je ne me souviens plus. Mais
dans mon souvenir il est resté, il restera, l’hôtel de Bonne Rencontre...
C’est ici que nous nous
étions retrouvés, A. et moi, dans cette ville à nous deux étrangère, par un
soir humide de décembre.
C’est un hôtel modeste, un
peu décati, un hôtel de centre ville, pas un de ces hôtels de chaîne à la
froide fonctionnalité. L’entrée est un peu minable, on monte d’emblée par un
escalier resserré, on atteint une réception sans charme au premier puis des
chambres par des couloirs zigzaguant. La nôtre est assez spacieuse, meublée
sans charme mais avec un côté cosy, le lit est large, il y a un tapis, des
tentures épaisses qui masquent les fenêtres donnant sur le carrefour animé de
rues piétonnes.
Je m’y installe un moment, à
cette fenêtre. La ville est là, avec sa vie bruissante. A. me rejoint. Nous
nous tenons un moment serrés l’un contre l’autre, sa main tiède est au creux de
la mienne, nous sommes silencieux, pénétrés de présence, on se berce un moment
de la rumeur de cette foule compacte qui déambule à nos pieds, vaquant aux
loisirs du vendredi soir ou occupée des courses pour les fêtes. A la hauteur de
nos yeux les enfilades des guirlandes lumineuses de Noël sur fond de ciel
nocturne sont comme des étoiles.
La fenêtre refermée, les
rideaux épais tirés, la ville est là toujours, mais sa rumeur s’est atténuée,
sa lueur à peine se devine par l’interstice des rideaux.
Nous sommes dans notre
cocon. C’est le temps où les corps qui s’attendaient se rapprochent. Nous
glissons de geste en geste jusqu’au plus profond, jusqu’au au plus intime de
cette parenthèse de nos vies.
Tout le reste peut s’effacer
ou plutôt non, juste se mettre à distance, au delà des rideaux épais, des
kilomètres parcourus, du glissement des TGV…
C’est le temps de l’amitié
amoureuse.
C’est une amitié d’abord et
avant tout, construite lentement au travers des mots, des échanges, des
rencontres, des intérêts partagés…
Une amitié qui un soir s’est
poursuivie dans les caresses puis dans les corps enlacés, fusionnés. Une amitié
qui n’a pas séparé l’esprit du corps, qui a su qu’il n’y avait nul mal à se
placer sur ce terrain là aussi, qu’il n’y avait nul mal à se faire du bien car
qu’est-ce qui fait plus de bien que des corps qui se touchent, qui vibrent
ensemble…
Une amitié qui porte en elle
ce bonheur de retrouver l’usage du corps dans sa plénitude. Bien loin de ce à
quoi je m’étais trop habitué, bien loin de ces rapprochements de routine des
épidermes au noir de la nuit, les corps, à nouveau, savent s’enfiévrer. La
rencontre, à nouveau, peut se charger d’imaginations, de jeux et de surprises,
se moduler entre fougue et tendresse, faire tourner la tête, haleter le
souffle, secouer le corps de spasmes presque douloureux et l’envie peut en
revenir alors qu’on s’est à peine détachés…
Les corps recrus au matin se
sentaient jeunes. C’était une vraie jouvence…
J’aime cette amitié.
Presque j’aurais tendance à
la théoriser.
Elle est le lieu d’un
équilibre subtil. C’est une alchimie paisible, reposant d’abord sur une amitié
solide, une profonde reconnaissance mutuelle. Elle ne s’encombre de nulle
possessivité, de nul exclusivisme. Elle est éloignée tout autant de l’amour
amoureux avec ses emballements, ses dépendances, ses douleurs d’absence que du
libertinage mécanique et superficiel, n’impliquant que les corps. Elle se
nourrit de rencontres tendres, mais chaudes aussi, entre deux personnes
autonomes dont les attentes sont de même nature, ne mettant pas en cause la
relation du couple dans laquelle chacun est inscrit par ailleurs. Elle se
déploie dans le temps compté de parenthèses balisées, dans des bulles d’espace
et de temps bien délimitées.
Oui c’est tout cela l’amitié
amoureuse mais c’est aussi, même si on ne le perçoit pas sur le moment dans
l’euphorie du renouveau, un regard douloureux, peut-être destructeur, porté sur
l’autre couple, le vrai, le couple au long cours, un regard douloureux sur ce
qu’il n’apporte plus…
Dans le train qui me ramenait de l’Hôtel de Bonne Rencontre j’ai tenté de mettre en mots le souvenir que j’en gardais. J’ai écrit un petit poème érotique. C’était un cadeau aussi à la dame de mes pensées. Je l’ai relu au moment d’écrire cette note. Je l’aime bien. Plaisir du moment vécu, plaisir du moment recréé en l’écrivant, plaisir de le prolonger en l’offrant, et aujourd'hui plaisir de ce moment retrouvé en le relisant…
(Ecrit et publié dans les ricochets le 22/02)