Ricochet 1994: "Traces"
Voici ma contribution 1994 aux « Petits cailloux et ricochets » des blogueurs :
« Traces » c’est,
à ce jour, mon texte le plus accompli. Il a été commencé en 1993, terminé et
mis en forme en 1995 mais l’essentiel de sa rédaction, le choix de ce qu’il
serait en définitive date bien de 1994.
C’est un retour à l’écriture
après un temps très long où j’avais totalement mis sous le boisseau l’idée même
d’écrire. Ecrire, dès lors que je n’étais pas écrivain, que je n’envisageais
pas de le devenir m’apparaissait comme quasi illicite.
C’est un besoin simple
d’expression qui m’a fait reprendre la plume. Je me sentais mal ces années là,
j’étouffais, j’ai ressenti l’absolu besoin de faire le point avec des mots sur
moi-même, mon histoire, mes impasses. J’accordais donc très clairement à cette
écriture quand je l’ai reprise une fonction thérapeutique bien plus que
littéraire.
Je suis parti des malaises
du présent, je les ai confronté à mon histoire récente. Puis j’ai senti le
besoin d’aller plus loin dans le passé, à la recherche d’éclats de souvenirs.
Je n’ai pas cherché à construire une continuité chronologique, à raconter mon
histoire. J’ai donc écrit des fragments au fur et à mesure qu’ils se
présentaient à moi. C’est en avançant que j’ai trouvé du sens à les organiser
et du coup à les compléter pour qu’au final cela tout de même fasse histoire.
Mais j’ai aussi pris un
grand plaisir à écrire ces fragments, ou plus exactement à les voir terminés, à
voir que du magma confus et au prix parfois d’une douloureuse maïeutique
sortait un texte ciselé, agréable à lire, authentique, exprimant avec justesse
une certaine vérité de moi ou de mon passé.
Il y a dans cet ensemble des
pages vraiment douloureuses, des cris, que je ne relis pas sans trembler non
d’ailleurs tant dans les fragments eux-mêmes évocateurs du passé que dans ce
qui les environne, des textes d’ambiance sur le moment, des
« postscrits » remettant en cause le sens de ce travail au regard des
douleurs vécues dans le présent.
Il y a eu des moments
d’ailleurs où j’ai eu la pulsion de tout détruire. Tout en sachant parfaitement
que je ne le ferais pas. Parce qu’au fond je ne suis pas destructeur mais
conservateur à l’extrême (de même que je ne suis pas suicidaire mais plutôt, à
l’excès, terrifié par la mort). Et puis parce que je ne pouvais m’empêcher de
trouver beau certains de ces textes. Et ça c’était la victoire comme l’était
aussi le plaisir que j’avais pris à l’écriture et qui en vérité suffisait à lui
donner sens.
J’ai réorganisé cet ensemble
il y a deux ou trois ans, j’ai conservé l’ensemble des fragments sans modifier
une ligne mais mis de côté certains postscrits, je l’ai doté d’une préface, je
l’ai relié, ça fait un ensemble de 120 pages en petits caractères, j’ai le
projet de le déposer dans quelque grenier autobiographique. C’est même une des
raisons qui m’a fait adhérer à l’Association pour l’Autobiographie il y a
quelques années mais pour l’instant je me dis que rien ne presse, mes
« Traces » attendent tranquillement dans mes tiroirs…
Lorsque je remets le nez
dans ces textes ce qui me donne le vertige c’est d’y trouver des phrases comme
celles-ci : « Mais toi, mais nous… L’étincelle que j’y vis ne brille
plus dans tes yeux. Nos corps se plombent et nos cœurs se racornissent. Les
étreintes se font rares et presque honteuses. Les rires s’éteignent. Le silence
s’installe, ce silence gris de tant de couples vieillissants… »
Vertige à voir que tout
était déjà là, que le silence était déjà là et que la volonté de le rompre
était déjà là, et vertige à voir que douze ans après, tout est encore là,
immobile…
Alors me vient la lancinante
interrogation : qu’était-ce donc ces pages et ces pages noircies, sinon un
substitut de thérapie, une ruse habile de l’inconscient pour m’empêcher d’y
avoir recours, une façon d’éviter par peur panique du changement d’affronter vraiment
les problèmes et de pouvoir ensuite peut-être grandir, seul ou ensemble ?
Quoiqu’il en soit tel a été
mon chemin. C’est ainsi que ce fut. Il n’y a rien à y redire. Les regrets sont
inutiles et dépourvus de sens. Il y a seulement, et même s’il est tard désormais,
à éviter de reproduire encore et encore, à l’identique …