Croquis: la femme aux deux amants
C’était dimanche après-midi
comme nous passions sur la passerelle entre la Bibliothèque et le Parc de
Bercy.
J’ai vu marchant vers moi
une femme entre ce qui semblait être ses deux hommes. Elle était au milieu,
bras dessus bras dessous avec l’homme à sa droite, leurs doigts entrelacés,
joue contre joue avec l’homme à sa gauche qui la tenait pas le cou. La femme
donnait le tempo, lent, de la marche du groupe. Des talons fortement compensés
accentuant la cambrure de son corps, une robe légère mais plutôt sage, un
visage ni beau ni laid qu’encadrait des cheveux mi-longs mais, émanant de ce
visage et d’un regard doucement langoureux, une impression de contentement,
d’épanouissement violemment sensuel... J’ai pensé à ce mot pas très distingué
pour le moins mais évocateur qu’emploie à un moment Emmanuel Carrère dans son
récent « Roman russe » en parlant d’une femme : « elle
avait la chatte sur la figure »…
J’avais l’impression que
tous trois sortaient tout juste du lit et des jeux amoureux, l’impression aussi
que c’était une conjonction toute récente de gens se connaissant peu, une
histoire neuve, je le parierai, ne datant que de ce jour même…
Ils se sont arrêtés au
milieu de la passerelle et se sont détachés. L’un des hommes a photographié sur
fond de Seine la femme et l’autre homme dans les bras l’un de l’autre, adossés
à la balustrade. Puis ils ont interchangés leur place, le photographié est
devenu photographe.
Quoique ma marche fut devenu
fort lente, je n’ai pas vu la suite, j’étais passé...
Mais par un clic-clac mental
j’avais fixé l’image en moi, comme je l’aurais fait avec un appareil photo. Et
j’ai eu envie pour la retenir d’en faire avec mes mots ce croquis.
Voilà comment je les ai vus.
Rien ne m’assure qu’ils étaient dans l’histoire qui dans l’instant s’est
imposée à moi. Peut-être étaient-ils dans une simple promenade d’amitié tendre
ou dans la chaleur de vieilles retrouvailles. Evidemment on pourrait créer une
ou deux ou dix histoires à partir de mon croquis. C’est bien le privilège et la
jouissance de l’imaginaire, créer des histoires à partir de rien ou de presque
rien, avec ce qu’on y rajoute venu du fond de notre propre histoire ou de nos
fantasmes. Ça j’adore. C’est bien ça qui ces temps ci me donne l’envie d’écrire
et de m’envoler dans la fiction plutôt que de rester accroché aux basques de
mes humeurs changeantes ou d’aller fouiner dans les profondeurs de ma mémoire à
la recherche de ricochets.