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Les échos de Valclair
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29 septembre 2007

De fameuses gorgées

Jeudi soir on a fait un petit repas un peu spécial, le dernier avec Taupin avant quelques mois. Il prenait vendredi le premier eurostar du matin pour rejoindre les bords de la Cam et le labo où il va faire sa thèse.

J’avais sorti un foie gras rapporté de la région toulousaine cet été et une bouteille assez exceptionnelle, un tokay, un vrai tokay de Hongrie, « Tokaji aszu, 1993, cinq puttonyios » (cette dernière mention fait référence à la part de raisins surmûris présents dans ce qui est mis en cuve, ce n’est pas le légendaire, hors de prix et quasi introuvable « tokaji eszentia » mais c’est déjà une belle concentration (tiens, parenthèse dans la parenthèse, je vois que ce tokaji eszentia figure au catalogue du Savour club, 210€ la bouteille de 50 cl, millésime 1957, ce n’est évidemment pas dans mes prix et même si j’en avais les moyens, quelque soit mon goût pour les plaisirs de bouche, ça me choque, ça me paraît indécent un tel prix pour quelques gorgées, je ferme la parenthèse dans la parenthèse !)).

C’était un plaisir de déguster ça et un plaisir aussi de le faire découvrir aux garçons, d’ouvrir leur champs gustatif, de leur apprendre à déguster. Nous essayons de dire ce que nous ressentons, à le regarder (cette couleur brune, plus sombre qu’un Sauternes mais lumineuse tout de même, les larmes de glycérol sur les parois du verre), à le sentir (ces effluves puissantes de cave, l’odeur caractéristique des raisins surmûris, toutes sortes de parfums derrière, indécidables) à le goûter (la bouche pleine d’emblée de ce goût de surmûri, plus violemment là encore que dans un Sauternes, c’est ce goût que l’on a parfois en picorant un grain un peu blet sur une grappe, puis, après cette attaque, une part d’acidité bienvenue et qui tempère l’entrée en bouche très sucrée, puis d’autres parfums qui se révèlent et sur lesquels j’ai personnellement du mal à mettre des mots, je reste toujours un peu sceptique devant les déploiements de qualificatifs que sortent les dégustateurs professionnels ou ceux qui se piquent de les imiter, enfin en tout cas c’est sacrément riche en bouche, ça je peux le dire, et oui cela a de la longueur, de la persistance, une fois avalé, la bouche en reste pleine). Ce vin s’harmonise magnifiquement avec le foie gras. Après sur le rosbeef, bien sûr on a mis le tokay entre parenthèse, juste un verre d’un Bordeaux honnête. On est revenu au Tokay avec le roquefort mais là il m’a paru moins convainquant que du Sauternes, il me semble que le vin et le mets se neutralisaient plus qu’ils ne se complétaient. On a terminé la bouteille, ce ne sont que des petites bouteilles de 50cl, sur un gâteau tout simple, une génoise moelleuse juste délicatement parfumée à l’eau de fleur d’oranger, là l’alliance de nouveau était superbe.

Voilà, le Taupin je crois repart avec un joli souvenir de bouche. Il n’y a pas besoin de faire des banquets dont on sort alourdi, bien au contraire. D’ailleurs je déteste les repas où l’on croule sous trop d’abondance et où, ma gourmandise aidant, je consomme trop à force de me servir et de me resservir.

Mais il y a eu autre chose et bien plus émouvant. Avec le vin m’est remonté un souvenir. Mon père et moi étions descendus voir mon grand père pour passer avec lui le temps des fêtes à un moment où sa maladie déjà lui empêchait tout déplacement. On ne le disait pas, bien sûr, mais nous savions et il savait que c’était son dernier Noël. Mon père avait apporté ce même Tokay, d’un autre millésime naturellement, pour faire malgré tout un petit repas de fête léger, le vieil homme ne pouvait plus manger beaucoup mais il a bu quelques gorgées, oh pas beaucoup, trois, quatre, tout au plus de ce vin qu’il ne connaissait pas avec une concentration, une intensité extraordinaire. Et je revois ses yeux s’éclairer, son visage se marquer d’un sourire et je l’entends surtout, j’ai encore sa voix dans les oreilles, disant : « fameux… supérieur… extra », ces trois mots là exactement, je n’ai pas eu besoin de les noter, pourtant c’était il y a bientôt vingt ans, oui, je les entends : « fameux… supérieur… extra », ou plutôt « fâmeux… supérrieurre… exestrra… », comment rendre compte de son accent chantant, comment évoquer ces r roulant, comme le chantait Nougaro, tous les cailloux de la Garonne… Dans ce bref moment mon cher Papi, m’a semblé tout entier dans la bienheureuse sensation du précieux liquide descendant en lui, arraché pour un instant à la bulle douloureuse de son cancer. C’est un beau souvenir !

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Commentaires
P
tu te doutes de ce que l'évocation de tels souvenirs engendre chez moi, je suppose :)<br /> <br /> à te lire, je commence à percevoir ce qu'ont reçu mes lecteurs, quand je leur parlais du min, de grand-père :))<br /> <br /> ils se seraient drôlement bien entendus, ça c'est sûr ;)<br /> surtout question vin ^^
D
Je crois que je l'entends, ton grand-père... Et cela me remet un peu les pendules à l'heure... Et je trouve aussi ce billet très beau, bien sûr...
G
Très joli souvenir... Et excellent ce foie gras, avec un vin dont j'ai beaucoup entendu parler, mais que je n'ai jamais goûté, hélas !<br /> <br /> Si le Sauternes n'est pas à la hauteur, on peut choisir un Jurançon... Je sers le foie gras accompagné de pain d'épice toasté...<br /> <br /> Qu'il serait plaisant, cher Valclair, de te retrouver... à table !!
P
Je veux bien en avaler une larme aussi, de cet élixir. J'ai lu ton billet avec de plus en plus d'intérêt.<br /> <br /> Comment peux-tu douter, Valclair! <br /> <br /> Quand je te dis et te redis et t'écris et te réécris que ce que tu racontes est palpitant, et qu'en plus, tu le racontes bien. Et que je le dis et le répète depuis que je te lis, autant dire, l'hiver 2005.<br /> <br /> Je vais pas revenir avec Proust, sinon, toi, tu vas revenir avec l'indécence o;)
V
De telles appréciations flatteuses, chère amies, sont toujours encouragements à écrire, notamment lorsque le doute me saisit. Merci.<br /> ça me donnerait l'envie de partager avec vous un tel élixir!
Les échos de Valclair
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