Rages de dents
J’ai en ce moment de
violentes crises de mal de dents.
Le problème est normalement
circonscrit, le traitement en cours, j’ai vu la dentiste la semaine précédente,
je la revoie ce mardi où elle doit achever le travail. Ça a été beaucoup mieux
jusqu’au milieu de semaine et puis depuis jeudi la sarabande a recommencé. Le
plus souvent la douleur reste tapie, silencieuse et puis de temps en temps elle
m’envahit. Alors là plus rien n’est possible. Il n’y a plus que la douleur.
Elle se diffuse depuis la mâchoire vers le bas dans le menton, la nuque, vers
le haut, dans la joue, dans l’œil, dans l’oreille, dans le front et jusqu’au
sommet du crâne. J’ai la moitié du visage et de la tête qui n’est plus que
cette douleur. Impossible de rien faire, ne parlons pas d’être sur l’ordinateur
- le scintillement de l’écran fait comme un redoublement à la douleur – mais je
ne parviens même pas à écrire sur mon carnet ou à lire ne serait-ce qu’un
article facile et le bruit même d’une conversation m’agresse. Il n’y a qu’une
chose à faire, prendre un calmant, m’allonger sur le lit, soit la face contre
l’oreiller, soit en me posant un coussin sur le visage car j’ai le sentiment
qu’une légère pression sur la zone douloureuse la concentre sur un lieu unique,
limite sa diffusion au reste du visage, la rendant du coup plus supportable (et
je comprends mieux ces vieilles gravures où l’on voit des personnages
souffrants à la tête enturbannée comme des œufs de Pâques). Le terme rage de
dents n’est pas usurpé.
En général ça ne dure pas
trop longtemps. Une demi-heure, une heure maximum. J’inspire et j’expire avec
application et me concentrant sur mon souffle j’ai l’impression de dompter
ainsi en partie la douleur. Lorsque la vague se retire, parfois je m’endors,
parfois je reprends mes activités, comme sortant d’un cocon, comme sortant d’un
nuage. Je me tâte la mâchoire, je ne sens plus rien, j’ai même du mal à me
souvenir que dix minutes plus tôt j’avais si mal. Ça fait de drôles de journées
en accordéon.
Je ne suis pas habitué à
traverser la douleur. C’est une expérience dont il faudrait aussi savoir tirer
profit. Je réalise que je n’ai jamais vraiment été sérieusement malade, avec de
la souffrance. Je n’ai par exemple à ce jour jamais passé la moindre nuit à
l’hôpital. Je mesure alors cette chance que j’ai et dont je devrais rendre
grâce ne serait-ce qu’en étant pleinement conscient de ce que c’est d’être en
bonne santé et épargné par la douleur.
Dans les interstices de
cette journée accordéon j’ai été au Musée Maillol pour y voir, après le film,
les tableaux de Séraphine de Senlis. Certaines des compositions, pas toutes,
vues en réel ont une forte présence. Les conditions de visite cela dit
n’étaient pas idéales. L’espace resserré de la salle d’exposition était totalement
saturé, empêchant que l’on puisse prendre une vision des tableaux avec le recul
nécessaire. C’est le paradoxe de ce qui devient soudain médiatisé et connu. Qui
donc connaissais Séraphine avant le film ? Qui se serait déplacé pour voir
ses œuvres ? Personnellement je n’avais jamais entendu parler de ce
peintre. Et là c’est le rush empêchant de profiter comme il faudrait des
toiles.
J’aime bien ce petit musée
Maillol. J’ai eu l’occasion d’y aller plusieurs fois à l’occasion de diverses
expositions et d’y retrouver chaque fois avec plaisir, outre l’exposition
temporaire elle-même, les éléments permanents de la collection Dina Vierny. Il
y a quelque chose qui passe dans ces salles le plus souvent quasi vides (ce
n’était pas le cas, cette fois, les visiteurs de Séraphine en ont profité pour
déborder sur l’espace permanent), une émotion, le souvenir d’une histoire, un
morceau de temps suspendu. Le corps de celle qui fut le modèle du maître saisie
dans sa beauté passée irradie le lieu. J’aime cette confrontation entre la
présence souterraine de celle qui fut la conceptrice de cette collection et des
œuvres que le maître a tiré d’elle, que ce soient des peintures de nus
sensuels, que ce soit ces marbres somptueux qui attirent la main et que l’on
voudrait oser s’autoriser à caresser.
J’en étais là, ou à peu
près, dans la rédaction de ce billet dimanche matin quand un coup de téléphone
m’a brusquement interrompu, me portant bien loin de mes écritures, bien loin de
ce blog...
En y réfléchissant je dois
me dire que ce n’est pas si grave, il n’y a pas mort d’homme, ce ne que sont
des soucis de la vie matérielle mais sans doute serais-je absent du net
quelques jours…