L'incendie
Donc me revoici. Mon absence
n’a pas été très longue. Comme n’a pas été très durable le choc qu’a occasionné
cette nouvelle reçue dimanche matin qui m’avait cueillie en pleine paisible
rédaction d’un billet, me donnant brutalement l’impression que mes activités de
scribouillard étaient totalement déconnectées du réel concret.
La maison de mes grands
parents dans la région toulousaine, celle que je me tâte d’aller peut-être
habiter, la maison au grand cèdre, cette maison a brûlé…
Le feu a pris chez des
locataires au second étage qui étaient absents. Leur appartement a été
entièrement ravagé. Une partie de la toiture s’est effondrée et les charpentes
léchées par le feu sont endommagées. Heureusement il n’y a pas eu de victimes
mais les pompiers ont dû combattre toute la nuit. La mairie a pris un arrêté de
péril et la maison a été déclarée inhabitable. Les locataires ont tous dus être
recasés en urgence.
Une partie des planchers ont
flambé et les plafonds sont tombés dans l’appartement que nous occupons au
premier, entraînant un début de feu à notre étage. Les gravats et les quantités
d’eau que les pompiers ont déversés ont considérablement abîmé l’appartement,
des plafonds sont tombés, les papiers peints se sont décollés, les moquettes sont
gorgées d’eau, l’électricité est totalement à refaire. Les meubles, les tapis,
les tableaux, les livres, tous ces objets accumulés et transmis au cours des
ans dans une famille de petite bourgeoisie rurale et commerçante, sont
endommagés dans des proportions encore difficiles à évaluer.
Il fallait bien sûr se
rendre sur place en urgence. Mon père a pris le train dès dimanche soir.
J’étais un peu ennuyé de le laisser partir seul, craignant qu’il supporte mal
le stress, qu’il ait des difficultés à faire face seul à la multitude de
rendez-vous à assumer entre la gendarmerie, les pompiers, les divers experts et
contre-experts des assurances, les locataires, les entreprises qui vont devoir
procéder en urgence aux premiers travaux de sécurisation. J’avais peur aussi
que, même si nous nous étions préparés au pire par divers coups de téléphone au
cours de la journée de dimanche, il ne se trouve vraiment décontenancé face à
la perte notamment de ce qui dans cette maison lui parlait de ses parents.
Heureusement il a pu être hébergé chez une cousine, ce qui lui a déjà permis de
ne pas être seul face à lui-même dans une chambre d’hôtel.
Nous avons beaucoup échangé
par téléphone tout au long de ces journées, pour l’épauler, être présents au
moins psychologiquement, mais n’empêche, c’est lui qui a dû assumer
l’essentiel. Heureusement, malgré son âge, il est encore en bonne santé, pas
trop fatigable et il garde l’esprit vif et clair.
En quatre jours l’essentiel
de ce qu’il y avait à faire dans l’immédiat a été engagé. Le bâchage du toit
pour mettre l’immeuble hors d’eau a été effectué. Une société mandatée par
l’assurance va emmener le mobilier et va commencer à assurer la remise en état.
Un architecte va suivre la situation en liaison avec les assureurs et nous
réfléchirons avec lui sur les étapes de la remise en état et les éventuels
réaménagements et restructurations de l’espace auxquels on procédera dans la
foulée et en fonction de ce que permettront les indemnisations. Nous serons
amenés bien sûr soit mon père, soit moi, soit tous les deux ensemble à
descendre sur place à plusieurs reprises au cours de l’année. On n’est pas
sorti de l’auberge !
Au moment où j’ai appris
l’incendie, tout de suite, j’ai pensé à ma grand mère. Le feu pour elle était
une angoisse permanente. Elle avait des souvenirs d’une boule de feu qui
pendant un orage avait traversé sa maison d’enfance et l’avait terrorisée. Dans
les années cinquante avait brûlé la métairie, sur cette terre même où
l’Agronome a été faire son stage il y a quelques semaines. Dans les années
soixante la villa que mes grands parents venaient de faire construire sur la
Costa Brava a failli être emporté par l’incendie de la pinède qui l’entourait.
Ma grand mère qui était une méridionale très expansive parlait de
« ses » feux avec des accents de tragédienne. Je me souviens encore
du ton de sa voix lorsqu’elle évoquait ces catastrophes, racontant les réveils
en pleine nuit, la terreur au ventre, la vision des flammes. Elle concluait
toujours ses descriptions dantesques par des recommandations et des conseils de
prudence qu’elle nous faisait jurer de respecter à ma sœur et à moi: un feu
c’est tellement vite parti… Elle évoquait, en s’en moquant, les manies de son
vieil oncle Paul devenu à la fin de sa vie complètement obsessionnel et qui ne
pouvait se coucher le soir sans avoir vérifié dix fois si le gaz était fermé,
peut-être racontait-elle cela pour conjurer pour elle même le risque de verser
dans de tels excès.
J’ai eu dans les heures
suivant cette annonce des tourbillons de pensées : la stupeur,
l’incrédulité d’abord. Puis des pensées pour tenter de
m’apaiser : « il n’y a pas mort d’homme, ç’aurait pu être pire,
il y a des malheurs bien plus graves, tout ça ne concerne que des choses
matérielles, il faut savoir se détacher, etc, etc… ». Et enfin, se mêlant
à elles, d’autres réflexions plus positives et plus concrètes pour faire face
et pour avancer.
Je ne crois guère aux signes
du destin mais, tout de même, lorsqu’un événement comme celui ci se produit on
ne peut s’empêcher de tenter de regarder ce qu’il pourrait avoir à nous dire.
D’abord j’ai pensé: cette
maison trop vétuste, trop vaste, trop lourde à assumer, forcément source
d’ennuis, il aurait fallu la vendre, oui, il aurait fallu se détacher, passer à
autre chose. Et puis j’ai pensé aussi : tout ce qui nous encombrait de
passé pour oser rénover cette maison, tout ce qui était en partie mortifère
dans ces pièces conservées pour l’essentiel telle qu’elles étaient au moment de
la mort de mon grand père, tout ça, par force, se trouve balayé et nous ouvre
la voie pour faire du neuf avec le vieux et même nous y contraint.
Alors même si c’est
angoissant, même si c’est à notre corps défendant, il faut aller de l'avant et se dire
qu’à quelquechose malheur est bon…