Les livres de Coumarine
Samedi je me suis rendu à un
petit salon du livre, organisé par la Mairie du 11° à l’occasion de Lire en
Fête. Entre d’autres participants, l’auteure Nicole Versailles y présentait ses
deux livres, récemment publiés. Pour ma part j’allais surtout y voir ma déjà
ancienne blogamie Coumarine, heureux de la rencontrer dans cette peau nouvelle
d’auteure désormais éditée, heureux de pouvoir lui acheter ses deux ouvrages.
Je connaissais déjà les
textes de ces deux bouquins, ayant eu l’opportunité de les lire avant qu’ils ne
soient publiés. Je les ai relus avec plaisir sous leur forme définitive. Les
textes se laissent mieux approcher dans l’objet livre que sur l’écran ou sur
les feuilles volantes de tirages papier personnels. Le texte se ramasse, se
concentre, trouve plus naturellement son unité. Décidément je crois que je
resterai définitivement un homme du livre, du bon vieux livre traditionnel,
dont je peux tourner les pages, que je peux emporter partout avec moi, qui
m’accompagne sur l’oreiller et berce mes endormissements.
« Tout d’un blog »
raconte l’expérience de blogueuse de Coumarine. J’aime bien. C’est une approche
vivante et parfois drôle à partir de sa pratique qui peut faire comprendre
assez bien à des personnes très éloignées, qui regardent parfois avec
scepticisme ces gens étranges qui se mettent à raconter plus ou moins leur vie
au grand vent d’internet, ce qui se passe lorsqu’on se lance dans l’aventure.
Les questions qu’elle rencontre sont celle que tout blogueur est amené à se
poser : Quelle part accorde-t-on à la communication et au retour que l’on
suscite chez autrui ? Le souci d’accroître son lectorat, le besoin de
reconnaissance, la quête de l’approbation ne risquent-t-elles pas d’influer le
contenu même du blog ? Comment gérer les paradoxes de la mise en ligne de
l’intime, jusqu’où peut-on aller, comment évoquer autrui tout en le préservant,
comment le blog peut-il évoluer lorsque l’anonymat disparaît ? Elle évoque
les satisfactions que l’on peut y trouver, et d’abord celle, fondamentale, d’être
lu, d’être reconnu dans son écriture, celle ensuite des échanges qui se créent,
des amitiés qui se nouent. Elle montre aussi les illusions qui peuvent exister
et les désappointements qui peuvent survenir. Coumarine fait état bien sûr de
ses propres choix, de ses propres réponses qui ne sont pas forcément les
miennes. Mais elle ne le fait pas en donneuse de leçon, elle ne présente jamais
ses propre réponses comme un modèle mais simplement comme sa propre expérience
au pays du blog.
« L’enfant à l’endroit,
l’enfant à l’envers » est un livre très différent, qui touche à l’intime
le plus profond, à ce qui fait la source de nos personnalités et de nos vies,
les traces que les générations passées laissent en nous et les secrets de
l’enfance. Coumarine dans ce livre se penche sur son histoire familiale et sur
sa propre enfance, elle va à la rencontre de ses douleurs, elle les affronte,
elle les dépasse. Elle évoque son enfance étouffée sous les conventions
catholiques et bourgeoises bien pensantes, aggravées encore par l’absence apparent
d’amour d’une mère dépressive. Á force de traquer ses non-souvenirs d’enfance
elle finit par en trouver de très éclairants, de très douloureux. Elle dirige
son regard au-delà d’elle-même vers une grand mère qu’elle n’a pas connue, elle
en évoque l’histoire, elle cherche à comprendre ce qui, dans l’histoire de
cette aïeule, a pu peser sur sa mère à elle, nouant ainsi un émouvant et très
parlant dialogue entre trois générations de femmes.
Cette quête est par
elle-même forte et émouvante mais les techniques littéraires employées me
paraissent moins convaincantes. Les reprises à partir des lancinants « je
recommence » finissent par lasser. Je n’aime pas trop le jeu des voix
multiples, ou plutôt son systématisme qui finit par faire procédé : c’est
la voix de Coumarine toujours mais donnée en Tu dans l’adresse à la grand mère,
en Je dans les explications de la Coumarine d’aujourd'hui, en Elle dans les
séquences évocatrice du ressenti de l’enfant. Il y a là une volonté de
clarification, d’explicitation, qui rend le texte moins fort, me semble-t-il,
que s’il n’avait été cousu que de récits sous des formes simples qui auraient
porté leur signification en eux-mêmes, à partir des évocations de l’enfance ou
d’un passé plus lointain. Peut-être ce dispositif s’est-il imposé à Coumarine
pour pouvoir mener une sorte de dialogue intérieur, pour pouvoir avancer dans
son propos, pour se mettre en partie à distance, notamment par l’usage du Elle
(que décidément je n’aime pas). Cela alors le justifie même s’il ne produit pas
d’un point de vue littéraire un résultat tout à fait satisfaisant, du moins à
mes yeux.
Il me semble qu’il faut lire
ce livre avant tout comme un acte de réconciliation. Coumarine pactise enfin
avec sa mère douloureuse, elle perçoit enfin ce qu’il pouvait y avoir d’amour
malgré tout, d’amour à sa façon, derrière la dureté apparente de cette femme.
Coumarine a gardé de tout temps la poupée méprisée de son enfance. Et, en la
regardant aujourd'hui, elle comprend soudain ce que valait comme preuve d’amour
le petit chandail tricoté des mains même de sa mère dont sa poupée est
habillée. Pour moi c’est cela, ce cheminement, cette révélation, qui importe,
qui fait la valeur du livre même si du point de vue de la forme, ce texte ne me
paraît pas être le meilleur de ce qu’elle a pu écrire. C’est ce cheminement de
conscience qui, j’imagine, rend ce livre spécialement précieux pour elle. Je
comprends qu’elle puisse se sentir très blessée par le fait que ses frères
n’aient pas perçu sa démarche pour ce qu’elle était. Mais ça ce sont les aléas
des écritures touchant à la famille, on n’est jamais sûr de ce qui en sera
perçu, chacun a la lecture qu’il veut ou qu’il peut avoir. Il reste à souhaiter
que ses frères plus tard sauront la relire avec d’autres yeux.