Paralysie
Millau, à l’hôtel, cinq
heures du matin, réveil intempestif…
Nous faisons une étape ici,
histoire de faire un petit tour de ville demain matin et de voir de près le
fameux pont que je ne connais pas encore. Nous avons passé un week-end agréable
à une fête d’amis dans l’Allier et nous descendons demain, dans la région
toulousaine.
Mon esprit s’est mis en
mouvement. Je réfléchis au billet que je voudrais écrire, à ces billets
auxquels j’ai pensé ces derniers jours avant même mon départ de Paris, et dont
je sens que je les laisse échapper. Par lequel commencer ? Et c’est
justement de ce que je ne parvienne pas à me décider que finalement j’amorce un
billet…
Je suis dans l’envie et la
paralysie d’écrire.
Il ne serait pas exact de
dire comme l’autre jour que je suis à distance de mes mots. Non, ils bataillent
pour sortir. Ils bataillent en créant du malaise, de la souffrance même. A quoi
servent-ils alors ? Ils occupent les heures d’insomnies qui se sont désagréablement
succédées ces derniers jours.
J’ai esquissé plusieurs
notes qui n’ont pas abouti.
J’achoppe parce que je ne
sais pas pour quel destinataire je veux les écrire. J’évolue dans le fil même
de l’écriture. Alors le billet part dans plusieurs directions à la fois, le
billet se charge de potentialités contradictoires, je coince, le billet finit
par imploser, il s’autodétruit, me laissant un goût amer d’échec dans la
bouche.
Trois destinataires au moins
se font concurrence dans ces esquisses sans débouché…
J’ai envie d’écrire pour
moi, le billet de mon for intérieur, une entrée de journal destinée à rester
hors ligne, pour décrire certains évènements évoquant mon dernier week-end à
Lyon où j’ai pu retrouver mon amie très chère, pour fixer la succession des
moments afin de les mémoriser pour l’avenir, pour analyser mes ressentis avec
la plus grande précision possible, et me questionner à partir d’eux jusqu’à
l’os…
J’ai envie d’écrire pour
elle, une écriture qui serait d’abord une lettre, une écriture pour parler de
ce que nous vivons, pour réfléchir à comment concilier cet amour avec nos
autres attachements, pour trouver les moyens d’entretenir, d’approfondir,
d’embellir une relation dont la modalité dominante est l’absence.
J’ai envie d’écrire pour
partager avec mon blogomonde, je sens bien que la communication est désormais
mon carburant principal, que c’est ce qui me donne l’énergie d’écrire. Mon
journal est pour moi mais il est aussi pour mes lectrices, pour mes lecteurs,
les proches et les connus, le cercle des blogamis qui savent plus ou moins qui
est l’animal, ceux qui déposent ici leurs mots à l’occasion comme les discrets
qui me suivent silencieusement depuis longtemps, les épisodiques, les passants
de hasard me croisant sur l’océan de la toile. Je voudrais le faire sur tous
les terrains, y compris sur ceux que l’on qualifié d’intime. Mais alors je me
heurte à cette difficulté : jusqu’où aller dans l’intime ? Comment
être suffisamment explicite pour être dans l’authenticité, pour que les interrogations
personnelles soulevées vaillent aussi et fassent écho pour d’autres sans pour
autant entrer dans des détails trop précis, sans créer les effets pervers de
collapsus mal venus ?
J’ai toujours dit que ce
n’était pas facile cette écriture là. Je l’ai toujours décrite comme un
cheminement difficile mais passionnant sur une ligne de crête. Je ressens cette
difficulté plus fortement encore aujourd'hui au point de me trouver quasi
paralysé, de ne pouvoir produire que cette note qui ne dit rien, qui n’est que le
reflet de mes hésitations.
Mais ce que je constate
c’est que cette tentative si laborieuse m’occupe, m’envahit, qu’elle prend la
place de ce qui pourrait être dialogue, tentative de dialogue, hic et nunc,
avec celle qui est près de moi, ma compagne au long cours, ma compagne des
jours ordinaires. Fuite une fois de plus ?