Respiration
J’ai été m’installer dans une petite combe très plate, très douce, à une dizaine de minutes du chalet où nous logeons. Devant moi, au-delà d’une épaule herbue, la moraine glaciaire, des pentes rocheuses abruptes, puis le glacier et les sommets qui apparaissent et disparaissent en fonction des mouvements des nuages, nombreux aujourd'hui. D’autres montent depuis la vallée, le temps menace, il y a même eu quelques gouttes tout à l’heure…
Profitant de ce temps incertain, je ne suis pas parti en rando ce matin. C’est la première fois depuis notre arrivée ici et, en ce début d’après-midi, je me suis échappé seul, je suis venu m’asseoir dans ce petit coin à l’écart des sentiers et du passage et je jouis de ce moment de solitude.
J’ai terminé la lecture du Dieu des Petits Riens d’Arundathi Roy, puis j’ai sorti mon carnet et voici…
C’est la première fois depuis que je suis ici. Non que les envies ou les sujets m’auraient manqué mais m’a manqué l’envie de m’y mettre. Il faut dire que le contexte ne s’y prête pas : la vie la plupart du temps collective sans beaucoup de moments d’isolement possible, le temps très beau qui nous fait démarrer tôt le matin et rentrer assez vannés, la participation aux tâches collectives de courses, de ménage et de cuisine… Lorsque je monte me coucher je lis quelques pages, mes yeux clignotent et je n’ai nulle envie de me lancer dans les réflexions de tous ordres que m’inspire ce séjour.
Alors il y a plein de billets auxquels vous échappez, outre des récits de randos et des comptes-rendus de lectures : par exemple sur mon rapport au groupe et à la vie collective, sur ma difficulté à entrer en communication avec les gens sur des terrains profonds dans des groupes de ce type alors même que je parais parfaitement à l’aise et « bon et joyeux camarade » dans tout ce qui est la vie concrète du groupe, sur l’éloignement vertigineux auquel est renvoyée toute activité d’écriture par rapport à tous ces gens qui me paraissent plus que moi dans la « vraie » vie, à voir la façon dont ils semblent plus de plein pied dans leurs multiples engagements professionnels, familiaux, associatifs et dans le vécu de leur présent. Je sais que mon rapport au monde est ce qu’il est, qu’il n’est pas moins licite que d’autres et que je n’ai pas à m’en culpabiliser, n’empêche quand je suis dans des contextes comme celui-ci j’ai par moments du mal à me dire que je ne suis pas un peu à côté de la plaque.