Démarrage en demi-teinte:
Bien sûr un premier janvier est un jour comme un autre.
Il n’a pas une place spéciale dans le défilement des jours, juste la charge symbolique un peu particulière qu’on veut bien lui donner.
Il y a les vœux qu’on échange, ceux qui ont sens et qui viennent du cœur et ceux qui sont pur rituel social. Il y a les vœux parfaitement banaux (bonne année, Madame Michu, et la santé surtout…) et ceux qui le sont un peu moins et qui introduisent comme un sourire. Ainsi le matin du premier janvier, dans la rue vide, on a croisé un papi jovial, un gars que je ne connaissais pas et qui sortait de la boulangerie avec sa baguette et ses croissants. Il nous a lancé un « Bonjour Msieur-Dame, meilleurs vœux à vous, allez, de beaux amants pour Madame et de jolies maîtresses pour Monsieur… ». Tiens, pourquoi pas…
Il y a les vœux et puis il y a la réalité qui vous pète à la figure…
Dans les rues, il y avait un je ne sais quoi de triste. Il soufflait une petite bise glacée, le ciel était sombre sans être vraiment neigeux, les gens, peu nombreux, marchaient vite, engoncés dans leurs manteaux, ça ne sentait pas vraiment la fête ni la joie. Ou bien était-ce surtout dans ma tête ?
Au retour de notre excursion matinale est monté dans notre rame de métro un type qui vendait un journal au profit des sans abris, créant comme chaque fois un certain malaise pour le voyageur lambda et spécialement un jour de lendemain de Fêtes. Volonté d’échanger quelquechose, fut-ce un simple sourire et incapacité parfois à le faire, malaise à donner et malaise à ne pas donner...
Le type a commencé à débiter son texte de présentation de façon mécanique puis en l’entrecoupant de diatribes de plus en plus agressives : « 2010, année de merde, ça va péter, ça va péter ». Il s’est mis à crier son propre malaise semblant oublier son journal « là ça va pas, je le sens pas, je vais péter un câble ». Un brave gars lui a tendu une pièce « garde-le ton pognon de merde, pauvre con. Ah je suis mal, là, je suis très mal, ça va casser là, ça va casser… »
On ne savait plus trop où se mettre, certains hochant la tête avec componction, d’autres souriant plus ou moins jaunes, d’autres regardant le bout de leurs chaussures (je me range plutôt dans cette dernière catégorie), chacun attendant en tout cas que l’homme veuille bien descendre du métro afin qu’on puisse, vite, l’oublier.
Sauf que ça ne s’oublie pas comme ça. Ça reste présent et ça pèse autrement plus que la sortie rigolarde du papi aux encouragements érotiques et joyeux.
C’est comme ça la ville ! Il n’est guère possible d’emprunter le métro (hors des heures de pointe en tout cas) sans être confronté à une ou plusieurs manifestations de la misère ambiante. Il ne faut pas se frapper parce que sinon on ne vivrait plus mais n’empêche, se confronter à ça, dans le matin d’un premier janvier, tout de suite, ça vous plombe l’ambiance.
Envie alors de campagne, d’espace, de nature, d’arbres, de mer infinie, de neige immaculée. Mais ce n’est pas pour autant que la douleur du monde s’effacerait, juste on la mettrait un peu plus à distance.
Allez, il faut faire avec ! D’ailleurs on a vécu aussi ces derniers jours des moments agréables dans cette fin de vacances parisiennes. Notre excursion du matin nous menait en fait à l’exposition sur les peintres flamands de la collection Brukhental. C’était une très belle exposition avec quelques toiles magnifiques, surtout parmi les paysages et les portraits (avec notamment une Sainte Famille de Jordaens assez étonnante).
Hier dimanche, non sans démarrer notre journée de façon passablement orageuse (contrariétés extérieures, temps perdu, agacement mutuel, montée de la tension, ça arrive mais ce n’est pas d’intérêt général !), on s’est boosté pour aller voir les Bouddhas de Shandong, au Musée Cernucchi. Il y avait un peu trop de foule (d’autant que c’était le dernier jour de l’exposition) et une conférencière dont la voix particulièrement désagréable a pollué la visite de gens comme nous qui n’avions envie que de contemplation. Une exposition courte, peu d’œuvres mais presque toute admirables, magnifiquement présentées et éclairées, respirant dans un espace bien adapté à leur taille, elles ne se tuaient pas l’une l’autre à cause d’une accumulation excessive. L’envie aurait été de se laisser complètement happer par ces attitudes, ces visages, ces sourires presque irréels de beauté et de sérénité. En restant assez longtemps, j’ai fini par pouvoir un peu communier avec ces œuvres, mais pas autant que j’aurais voulu. C’est d’elles, de leur rayonnement intérieur, qu’il faudrait savoir en permanence se nourrir. Pas facile, mais ce bouddha ci, je le regarderai encore et encore dans la figure pourtant amoindrie de son image photographique. Ne le trouvez-vous pas absolument admirable ? Je vous l’offre en partage.