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Les échos de Valclair
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16 mars 2010

"Patria o muerte"

J’ai fini pendant mes vacances ce gros « roman » de Dominique Perrut.

Il évoque une éducation sentimentale et un parcours politique dans l’ambiance des années de l’après soixante-huit dans le milieu des révolutionnaires latino-américains exilés à Paris. On y rencontre plus particulièrement un certain André Kerayan dans lequel on reconnaîtra aisément Pierre Goldmann, ce révolté d’extrême gauche, basculant dans le banditisme, rendu célèbre par son procès, par son livre « Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France », enfin par son assassinat resté mystérieux. L’assimilation entre Kerayan et Goldmann est d’ailleurs revendiquée, annoncée de façon explicite dès la quatrième de couverture.

L’auteur a manifestement mis beaucoup de lui-même dans Frédéric, le jeune français de classe moyenne qui gravite dans ces milieux, porté par son adhésion au credo révolutionnaire de ces années là et par la relation amoureuse qu’il entretient avec Marina, une jeune cubaine qui le quitte précisément pour Kerayan. Le récit entrecroise des passages où Frédéric est évoqué à la troisième personne et des extraits de son journal à différentes période de sa vie, tant au moment des évènements décrits, que dans les années qui ont suivi et jusque dans les années 2000 à 2008 où il raconte la gestation difficile d’un livre qu’il s’efforce d’écrire sur cette période en puisant dans ses souvenirs et dans ses journaux intimes.

Ce livre est manifestement une tentative de recycler des éléments d’une histoire personnelle en la fictionnalisant. Cet aspect là m’a passionné car il se trouve que je m’interroge pour moi-même beaucoup sur ces questions. J’aimerais, puisant dans des éléments de ma personnalité et de ma vie, m’envoler vers des récits qui ne seraient pas transcription fidèle de ce qui fut mais transsubstantiation par la grâce de l’imaginaire. J’aime donc l’évocation de tout ce travail fait par Perrut pour se retrouver dans « la débâcle du souvenir », l’analyse du journal comme une première réponse « un lieu secret où construire une expression fragile » puis la volonté d’aller au-delà, vers un autre type d’expression, où « montrer à d’autres » prendrait sens.

Mais cela dit je n’ai pas aimé le livre dans son ensemble.

D’un point de vue littéraire je le trouve assez médiocre. Il est  trop long et d'une construction trop complexe en mêlant les époques de façon très fragmentée. Il multiplie les personnage secondaires dont la nécessité ne s’impose pas. Le livre est correctement écrit mais dans un style assez plat.

Mais ce qui me gêne surtout c’est l’impression que la fictionnalisation est surtout ici prétexte à règlements de compte et ça, ça ne me plait pas du tout.

Dominique/Frédéric règle des comptes avec lui même d’abord. Manifestement il ne s’aime pas dans le rôle qu’il a tenu, dans la façon dont il a été à la fois le jouet des évènements, des personnes, de l’ambiance idéologique de l’époque. Il n’aime pas trop non plus semble-t-il la façon dont cahin-caha il s’est construit au sortir de ces années. Je me retrouverais assez là-dedans mais il me semble que j’inclinerais quant à moi plutôt vers un effort de réconciliation avec moi-même et avec ce que j’ai vécu plutôt qu’au ressassement d’une certaine rancœur.

« Dès que je pense à André une aigre moiteur me saisit » dit son personnage et on comprend, on ressent au travers de tout ce qu’il écrit, du ton qu’il emploie que c’est aussi le cas pour l’auteur. Il semble incapable de se réconcilier avec son passé et du coup laisse sourdre une aigreur vis à vis des autres qui est parfois assez déplaisante.

Cela est présent lorsqu’il évoque des affaires privées et sentimentales, mais c’est surtout très manifeste dans la façon dont il traite un événement, pour le coup public et connu, l’affaire Golmann, ici affaire Kerayan.

Goldmann qui avait basculé dans le banditisme tout en gardant des liens privilégiés avec des personnalités de l’extrême gauche a été poursuivi pour le meurtre de deux pharmaciennes, un procès a eu lieu qui l’a condamné pour ces meurtres, avant qu’un second procès ne l’innocente et ne l’acquitte. Perrut est convaincu que Goldmann était en réalité coupable, qu’il a été acquitté grâce à l’entregent des "mafias" d’extrême gauche et de leurs compagnons de route. Il s’efforce de le démontrer en reprenant de façon très précise les éléments de l’affaire tout en les brouillant en modifiant de façon plus ou moins transparente les noms, les lieux, les dates.

Il y a donc bien ici une forme de fictionnalisation. Mais tout est fait pour qu’elle ne semble porter que sur les noms. S’agirait-il simplement alors de se prémunir contre d’éventuels ennuis judiciaires si certaines des assertions n’étaient pas fondées ? On pourrait s’amuser de ce jeu sur les noms s’il relevait de l’humour. Jean Luc Tertre après tout ça vaut bien le Jean-Sol Partre de Vian ! Mais il n’y a guère d’humour justement et aucune tendresse à l’égard de ceux dont on a partagé les combats. La charge est virulente contre « le complot des bien pensants de gauche », contre « nos fertiles hagiographes » qui construisent « la légende dorée de Kerayan ». L’auteur devient même franchement déplaisant lorsqu’il laisse deviner Simone Signoret dans la « madone alcoolique des causes pathétiques ».

Il me semble qu’on ne peut jouer à la fois la fictionnalisation et la démonstration précise. On induit dans ce cas la pire confusion dans l’esprit des lecteurs.

Personnellement je n’ai pas d’avis sur la culpabilité de Goldmann dans le meurtre des pharmaciennes et ne cherche pas à en avoir. Je sais seulement que son histoire comme sa psychologie rendent plausibles qu’il ait pu être coupable. Et je sais aussi que l’extrême gauche a instrumentalisé l’affaire pour en faire un symbole, comme elle a instrumentalisé bien d’autres choses. Beaucoup de temps est passé et personne aujourd'hui ne nierait ce point. Savoir si Goldmann était réellement coupable cela me paraît désormais anecdotique et sans grand intérêt. Cela dit je comprends parfaitement que Perrut ait pu avoir envie de faire la démonstration si elle lui tenait à cœur mais alors il fallait la faire sans s’encombrer des oripeaux d’un semblant de fictionnalisation.

Je me demande finalement s’il n’y a pas deux livres dans le « roman » de Perrut. L’un qui aurait pu être un beau récit d’apprentissage et de désenchantement à partir d’une histoire d’amour et du climat affectif et politique d’une certaine époque et un autre qui aurait dû être un document exposant sans détour les convictions de l’auteur à propos de l’affaire Goldmann. Peut-être est-ce cette double postulation qui fait du livre un monstre au sens propre et qui explique qu’il soit, à mon sens,  manqué sur l’un comme sur l’autre plan ? Reste, et cela est pour moi un motif d’intérêt et d’empathie plus puissant que le jugement que je peux porter sur le livre lui-même, la sincérité de l’auteur, la description de son cheminement, des voies qu’il a empruntées pour se construire, notamment par le biais de l’écriture, au sortir du trouble de ces années là.

En écrivant cette note j’ai essayé de retrouver mes propres souvenirs à propos de ces évènements. Il me semble me rappeler que j’ai été à l’enterrement de Goldmann, comme tout bon gauchiste sur le retour. Mais je n’en garde aucune image précise. Y étais-je donc ou bien est-ce que je crois y avoir été par le truchement des articles lus et des discussions de l’époque ?

Je me suis souvenu en tout cas que c’était une période où je tenais journal. Alors j’ai été sortir la pile de mes cahiers du réduit où ils s’empoussièrent.

Oui j’y étais. J’y étais, mais sans plus !

Voici, en tout et pour tout, ce que j’écrivais :

« L’assassinat de Goldmann c’est un choc. C’est un peu de nous, de notre passé qu’on a tué. Un passé mort pourtant déjà, réactivé le temps d’assister à un enterrement. Et réactivée aussi, notre mauvaise conscience et même un peu de honte. Mais c’est aussi Goldmann tel qu’en lui-même. Une figure tragique, une fin qui semble si conforme au personnage, une fin qui s’inscrit si bien dans un destin. »

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