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Les échos de Valclair
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9 décembre 2009

"Beauregard"

J’ai reçu l’autre jour et lu avec intérêt et émotion le livre de Cassymary, « Beauregard ». Connaissant un peu Cassy je sais ce que représente d’accomplissement pour elle cette réalisation qui contribue à conjurer ses difficultés et qui lui permet d’accomplir le deuil d’une mère chérie.

Voir un texte qui prend la forme d’un livre c’est de tout façon toujours émouvant. Mais je suis touché aussi par le choix d’édition qui est le sien. Elle ne s’est pas contenté de faire tourner son imprimante puis d’aller chez un relieur-brocheur qui lui aurait encollé tout ça et mis une page de couverture. Non, elle réalise le travail matériel du livre elle-même, elle coupe les pages au massicot, colle les cahiers, les intègre dans la reliure, attribue à chaque exemplaire un n° unique, ce n’est pas juste Beauregard que j’ai entre les mains, mais Beauregard n°21. Du coup les imperfections même de l’objet concourent à son charme. Cassy est derrière chacun des exemplaires uniques et en le fabriquant sans doute y a-t-elle mis une pensée particulière en direction de celle ou de celui à qui elle le destinait.

J’ai aimé le texte lui-même, dont on sent à quel point elle l’a arraché au cœur d’elle-même, pour en faire un hommage émouvant à celles et à ceux qui l’ont précédé dans la lignée, pour en faire un hommage aussi au lieu qui a bercé son enfance. C’est en même temps un document sur des modes de vie qui s’éloignent. Ça se passe dans les années 60. Je mesure bien moi-même qui fut enfant puis ado dans ces années là l’ampleur des changements qui sont intervenus. Mais là, dans ce milieu très modeste, dans la campagne profonde, dans cette ferme d’un coin isolé du Causse, on est encore dans un autre espace-temps, très loin d ce que je pouvais connaître moi dans mon milieu de petits bourgeois intello vivant dans la capitale. Et l’évocation des grands-parents, de leur condition de vie dans l’entre deux guerres fait mesurer tout ce qu’a pu représenter de progrès pour beaucoup de gens les 30 glorieuses même si maintenant nous en voyons aussi les effets pervers.

Ma seule réserve porte sur la dénomination qu’elle donne à son récit : roman. Je ne vois rien d’un roman là-dedans avec ce que ce terme laisse supposer de recours au fictionnel, à de nombreux personnages, à des évènements multiples et entrecroisés. Du coup celui qui s’attend à un roman pourrait se trouver déçu de n’y pas trouver ce que l’on met habituellement derrière le terme. Cette propension à tout nommer roman m’a d’ailleurs souvent frappé, je m’en étais étonné par exemple sur « Mes mauvaises pensées » de Nina Bouraoui, sur « Jeune fille » d’Anne Wiazemski ou encore sur « L’été du sureau » de Marie Chaix. L’explication s’en trouve le plus souvent dans la politique éditoriale des éditeurs qui pensent que « roman » est plus vendeur.

Mais ici ce facteur ne peut jouer puisque Cassy n’est dépendante de personne !

Alors je me dis que c’est peut-être par une forme de pudeur, ou bien parce qu’elle se sentait gênée de n’avoir pas respecté à la lettre la véracité que l’on est en droit d’attendre d’un texte qui se dirait autobiographique. Peut-être n’a-t-elle jamais accompli le pèlerinage qu’elle raconte à la maison du Causse, peut-être n’a-t-elle pas passé une nuit à poursuivre des souvenirs en regardant des photos anciennes, peut-être a-t-elle modifié l’histoire de quelques uns des personnages qu’elle évoque pour en rendre le trait plus net, peut-être le rapport au père n’est-il pas celui qui est décrit (ça je viens de le voir sur son blog), peut-être a-t-elle choisi d’embellir un peu ses souvenirs pour magnifier et honorer ce temps et ce lieu. Est-ce si important que ce soit peut-être « la vie que nous aurions aimé vivre » plutôt que « celle que nous avons vécu » ? Car il me paraît évident que même s’il invente quelque peu ce récit est profondément arrimé aux souvenirs, qu’il exprime l’histoire d’un temps et d’une famille. Il me semble que si elle répugnait au terme trop explicite et fermé d’autobiographie, elle aurait pu peut-être choisir de parler de « récit autobiographique » ou « variation autobiographique » ou même pourquoi pas tout simplement « récit », ce qui à la fois ramènerait à l’essence du texte et en même temps laisserait ouvert un certain espace à la part d’invention qui s’y trouve. Comme le dit la belle citation de Supervielle mise en exergue : « les souvenirs sont du vent, ils inventent les nuages ». Mais peut-être viendra-t-elle ici nous dire les raisons de son choix.

Tiens je m’aperçois qu’ici tout du long, je l’ai nommé Cassy, peut-être aurais-je dû lui donner son nom d’auteur, mais non pour moi « Beauregard » c’est Cassy !

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Commentaires
P
Ah! J'avais lu ton commentaire en son temps. J'avais suivi la naissance - la venue au jour plutôt- de Beauregard, j'avais toujours eu dans l'idée de le lire aussi, je suis contente de l'avoir fait. <br /> <br /> J'ai ressenti la même chose que toi: on ne peut s'empêcher de faire le parallèle. Cassy à Beauregard (toi à Paris), moi à Bruxelles. Qu'y a-t-il eu à la fois de commun et de différent dans nos histoires de vie ? <br /> <br /> Ce qui m'a frappée aussi, c'est le double sens du titre. Beauregard est un lieu, mais pour moi, c'est aussi indissociable du (beau) regard que Cassy porte (ou choisit de porter) sur ce lieu et tout ce qui en fait l'essence. <br /> <br /> Et comme toi, je pense que c'est très important. Toute personne est unique. Ce qu'elle vit rejoint l'universel. On est tous pris dans le vent de l'histoire, mais nous ne sommes pas égaux, hélas, quant au devenir ou au souvenir... <br /> <br /> Et ici, quelque chose de plus personnel, Cassy, c'est quelqu'un de si discret... Et en même temps, plus on apprend à la connaître, plus on l'apprécie. Personnellement, je lui tire mon chapeau. Elle mène à bien des projets d'écriture (et des projets comme Kaléidoplumes) que je suis plutôt incapable de mener, car un brin fainéante... <br /> <br /> Chapeau bas ! Vraiment...
P
je me souviens que pour ma saga, j'avias vécu le même dilemme. je l'ai tranché en choisissant de la nommer :<br /> Roman Autobiographique.<br /> <br /> parce que vu les nombreux trous dans la chronologie, pour la partie de mes ainés, surtout, j'ai dû imaginer, pour lier les parties entre elles, même si j'ai essayé de rester au plus près du réel, en m'appuyant sur mes propres souvenirs.<br /> et aussi parce que je trouvais que l'association de ces deux mots résumait assez bien ce que j'avais écrit.
V
Ah je vois Pati que tu fais aussi partie des heureux lecteurs/lectrices de Cassy et je viens d'ailleurs d'aller lire ton propre billet. <br /> <br /> Cassy, je peux éventuellement partager ta réserve à l’égard du terme autobiographie pour la première raison que tu donnes, celle en rapport avec l’inexactitude de certaines des choses que tu racontes. Mais je ne suis pas du tout d’accord avec la seconde raison, dont tu dis en plus que c’est la principale : "surtout, surtout, autobiographie signifierait que ma vie est suffisamment importante pour être racontée, puis livrée au lecteur". Evidemment que ta vie est importante comme toute vie et aussi digne d'être racontée. Il n'y a pas d'un côté la vie des gens ayant accompli ou vécu des choses extraordinaires qui vaudraient d'être racontées et de l'autre celle des gens "ordinaires" qui ne le mériteraient pas ! Tout l'effort d'ailleurs de la petite association avec laquelle je m’investis, l'APA, c'est justement de collecter, de conserver ces écritures des gens dits "ordinaires", elles sont en fait, dans leur variété et malgré des qualités d’écriture évidemment inégales, d’une richesse incroyable.<br /> <br /> En fait je me dis que c’est « récit » qui aurait correspondu le mieux à ton texte.<br /> Ou alors « variation autobiographique » qui m’est venu à l’esprit en écrivant la note. Je me demande d’ailleurs si je ne vais pas l’employer pour moi-même pour ce texte qui mûrit en moi depuis lurette (faudrait que je m’en occupe avant qu’il ne soit trop blet !), un texte qui veut partir du réel, des souvenirs mais qui veut s’en échapper aussi, broder sur des possibles qui ne se sont pas accomplis.
P
un beau billet, val.<br /> pour un beau livre.<br /> <br /> nos deux billets se rejoignent, finalement. avec des mots différents, nous concluons de la même façon.<br /> <br /> je voulais juste rajouté, après avoir lu le comm' de cassy, que pour moi, ce qu'elle appelle "une belle littérature", ce sont des mots qui touchent. qui font entrer dans un univers qui ne nous appartient pas. qui font qu'on le reconnait pour le sien. ce sont des mots qui font vibrer, et refermer le livre avec regret.<br /> <br /> et à mon sens, c'est tout à fait ce que j'ai ressenti, en fermant Beauregard.<br /> j'en conclue donc que c'est bien de la littérature. et la plus belle qui soit : celle du coeur.
C
Hum! Difficile d'écrire quoi que ce soit après t'avoir lu.<br /> Je ne crois pas pouvoir expliquer les raisons de mon choix de nommer "roman" ce livre, qui n'en n'est pas vraiment un.<br /> Je pense que je ne pouvais pas le nommer autrement, tout simplement.<br /> J'aurai pu ne rien mettre du tout, j'ai d'ailleurs longuement hésité.<br /> Mais pour toutes les raisons que tu écris, je ne voulais pas mettre autre chose.<br /> Beauregard existe, a existé. j'y ai vécu de l'âge de 4 à 6 ans. Les souvenirs que j'en ai sont racontés dans le livre. Le reste, tout le reste, n'est que le fruit de mon imagination.<br /> Quand à ma mère, comme tu l'a compris, elle est celle à qui j'ai pensé tout au long de l'écriture.Ce que je n'ai pas su lui dire avant, parce que je ne m'en rendais pas compte, aveuglée par la douleur de ce père encombrant, je l'écris tout au long de ce livre. C'est grâce à elle que je suis cassy.<br /> J'ai donné à mon père une place qu'il n'a jamais eu, et c'est sans doute pour cette raison que je me sens gênée par le terme d'autobiographie.<br /> Mais surtout, surtout, autobiographie signifierait que ma vie est suffisamment importante pour être racontée, puis livrée au lecteur.<br /> Et je n'ai pas cette capacité là.<br /> D'ailleurs mon blog s'appelle "Sans importance"<br /> C'est très émouvant de lire cette phrase:<br /> "Beauregard, c'est Cassy" <br /> Parce que oui dans ce livre, c'est bien moi que je donne, moi tout entière.<br /> Je viens d'un milieu très modeste, et j'écris avec mes tripes. Je sais que c'est parfois maladroit, rien d'une belle littérature, j'écris avec mes tripes. Et chaque fois que je touche le lecteur, j'ai l'impression de dire à ma mère: regarde maman, tes valeurs sont les leurs, tu entres dans la lumière, toi qui a toujours voulu rester dans l'ombre par peur de déranger.<br /> C'est un peu un pied de nez à ... A quoi d'ailleurs? A mes phobies sans doute ;o)<br /> Un grand merci pour cette entrée que je vais garder précieusement!
Les échos de Valclair
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