Mai 68 à la BNF
Dimanche fut une journée
très occupée. Trop. Et pas occupée à des choses qui me faisaient vraiment
plaisir. Je suis beaucoup resté derrière l’ordinateur mais ce n’était ni pour
me promener chez mes blogamis, ni pour écrire pour moi-même. J’ai travaillé sur
un dossier urgent pour le boulot et j ‘y ai ajouté pour faire bonne mesure un
travail plus que consistant à réaliser pour mon association préférée.
Le temps n’était pas gai,
plombé de gris, venteux et sentant l’automne rajoutant sa part de sinistrose à
la journée.
En milieu d’après-midi tout
ça a donné un joli mal de crâne.
C’était le moment alors de
sortir un peu, de m’aérer, de reposer mes yeux sur des spectacles non
pixellisés.
Mes pas m’ont porté jusqu’à
l’esplanade de la Bibliothèque à Tolbiac. J’en ai profité pour aller voir
l’expo qui s’y tenait et se terminait le jour même sur « les esprits de
68 ». Il n’y avait pas beaucoup de documents, pas les affiches les plus
belles et les plus connues. Donc en ce sens c’était un peu décevant. Mais il y
avait par contre de nombreux documents moins connus qui ne sont pas reproduits
à tout va dans les multiples livres qui ont marqué la commémoration de 68, des
documents plus rares et plus fragiles, des couvertures de journaux, des tracts,
des affichettes, y compris manuscrites, à l’encre parfois à demi passée,
récupérés sur les murs, dans les hall des facs, aux portes des usines ou à
l’ORTF. Ce sont des bribes, des textes courts, qui pris isolément semblent d’un
intérêt limité. On se dit qu’ils ne pouvaient avoir de sens que dans
l’immédiateté du moment et que par l’action à laquelle ils contribuaient.
Naturellement il ne serait
pas venu à l’idée au petit lycéen que j’étais de récupérer les tracts
distribués à la sortir du lycée ou d’en mettre de côté après avoir fait tourner
la « babasse » de nos comités.
Les employés de la
Bibliothèque nationale eux n’avaient pas perdus leurs réflexes professionnels.
Il est noté dans les panneaux qui commentent l’exposition que c’est le 11 mai
qu’un conservateur a décroché d’un mur et rapporté à la bibliothèque une
première affiche initiant ainsi une collecte spontané qui allait prendre une
grande ampleur.
L’accumulation et la
juxtaposition de ces documents leur confère quarante ans après une
incontestable puissance d’évocation et une vraie valeur de témoignage.
Je me dis la même chose
d’ailleurs à propos de nos blogs. Au-delà de l’intérêt intrinsèque de chacun
d’entre eux qui peut être très variable, ils constituent dans leur masse, dans
leur variété, y compris ceux qui peuvent sembler à nos yeux contemporains d’une
quasi totale vacuité, un inappréciable témoignage de l’air du temps. Certains
blogueurs peuvent s’imaginer que leurs blogs n’ont de sens que dans l’éphémère,
il n’empêche qu’ils sont témoignages pour l’avenir et je trouve précieux que la
BNF d’aujourd'hui en constitue des archives.
Il y avait une ambiance très
spéciale d’ailleurs dans les galeries de la bibliothèque ce soir là. Il y avait
peu de monde. Les présentoirs de la librairie étaient masqués et protégés sous
de grosses toiles. Une employée est venue claironner à cinq heures la fermeture
de la terrasse de la cafétéria où ne s’attardait qu’un nombre limité
d’étudiants. Les vigiles semblaient presser de pousser le monde dehors. Bref ça
sentait l’assoupissement. Le vieille dame en effet s’apprêtait, ce que je ne
savais pas, à entrer en hibernation, c’était la dernière journée d’ouverture
avant la fermeture annuelle pour une quinzaine.
Lorsque je suis sorti le
temps s’était un peu levé, offrant enfin un joli rayon de soleil du soir et un
ciel mouvant. J’ai marché un peu en bord de Seine et emprunté ma passerelle
favorite. J’aime toujours beaucoup ce lieu, ce trait d’union entre Jardins de
Bercy et Bibliothèque, la Seine et son animation à mes pieds et l’espace ouvert
qui laisse fuir mon regard sur les beaux ciels de Paris.
Un groupe nombreux de gens,
une trentaine au moins, plutôt de jeunes adultes avec quelques enfants, avait
organisé un grand pique-nique (positionnés entre les deux niveaux de la passerelle
ils étaient à la fois dehors et protégés de la pluie éventuelle : astuce à
noter pour d’éventuels pique-niques par temps menaçant !). Après les
agapes, ils s’étaient serrés autour de trois guitareux, ils reprenaient des
chants plutôt ringards type colonies de vacances ou veillées scouts, du
genre « ya, ya, youpee, youpee, ya... ». Je me suis approché,
vaguement condescendant. Mais ils semblaient si joyeux, avaient l’air tous d’y
prendre un tel plaisir, que j’en aurais presque, moi qui n’ai jamais connu ce
genre d’ambiance, ressenti une pointe d’envie à être vraiment parmi eux.