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Les échos de Valclair
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22 septembre 2008

"Entre les murs"

Une fois n’est pas coutume. J’ai bénéficié d’une invitation à une séance spéciale en avant première pour le film « Entre les murs » de Roland Cantet.

Le film m’a beaucoup intéressé. Il m’a ému aussi. Certaines scènes sont très fortes. Il coule avec facilité puisque à la fin de la projection on est tout surpris d’apprendre qu’il dure 2h10, on ne voit pas passer le temps.

Mais il pose aussi beaucoup de questions et je suis sûr d’avance qu’il donnera matière à pleins de billets passionnants chez nos blogamis qui sont de la partie (n’est ce pas Samantdi, Ada, Telle, entre beaucoup d’autres…)°

Ma première impression est paradoxale. Je ressens ce film comme à la fois extraordinairement juste et assez largement faux et j’ai un peu de mal à dire pourquoi. Juste parce que les personnes, les élèves, les profs, les rapports entre eux, les rapports avec les parents, les modes de communication et de non communication, le fonctionnement des instances institutionnelles, conseil de classe, conseil d’administration, conseil de discipline, me semblent rendus avec une vérité extraordinaire. Et faux parce que le déroulement d’une classe, quel que soit le type d’élèves, quel que soit le mode de fonctionnement de l’enseignant ne me paraît pouvoir ressembler tout à fait à celle qui est ici montrée. Bien sûr le film revendique cette liberté puisqu’il se pose comme une fiction. Il est le produit à la fois du livre de Bégaudeau, lui même issu de son expérience d’enseignant et du travail du groupe d’élèves du collège Dolto qui pendant toute une année a travaillé dans le cadre d’un atelier d’expression théâtrale avec les réalisateurs du film. Il pose le même type de question que toute création aux limites du documentaire et de la fiction: qu’est-ce qui là-dedans est « vrai », qu’est-ce qui ne l’est pas ? Il serait négatif qu’il ne soit perçu que comme un documentaire sur l’école en France, dans des quartiers difficiles, ce que peut induire cette force de vérité qui se dégage de lui. Les collégiens venus d’un établissement de ce type qui assistait à la projection l’ont tout de suite remarqué et paraissait un peu choqué de l’image donnée : « ça ne se passe pas du tout comme ça dans notre classe ».

Le prof se positionne comme ses élèves essentiellement sur le terrain de la parole, de la joute verbale. C’est une façon de créer une proximité, de se mesurer à eux sur un terrain qui est plus facilement le leur même si les codes ne sont pas les mêmes. Le prof sort en général d’une tension par une pirouette verbale qui est le plus souvent une fuite de sa part, rarement par l’obtention d’un consensus entre lui et l’élève ou par la mise en avant d’une règle clairement posée qu’elle soit de grammaire ou de discipline.

Ce jeu verbal est donc aussi une façon pour lui à la fois de se défendre, d’obtenir une complicité avec se élèves, voire d’en tirer une forme de respect voire de prestige parce qu’à ce jeu là aussi, il peut être meilleur qu’eux. Mais il comporte aussi le risque qu’il apparaisse contaminé par cette proximité et ça arrive à plusieurs reprises. Il peut difficilement apparaître alors comme celui qui peut les tirer vers autre chose, qui peut leur donner des clés pour comprendre le monde, pour s’enrichir de lui. Et puis il peut conduire à des dérapages verbaux, à des mots blessants, à l’impression donnée d’être méprisant, et le fameux « pétasses » n’en est qu’un exemple parmi d’autres.

Dès lors il peut apparaître souvent une incohérence chez l’enseignant qui bascule de façon imprévisible entre la complicité et le rappel du fait que c’est lui qui est le maître du jeu, qui doit rester le maître du jeu. Le moment où ça va trop loin n’est jamais tout à fait le même. Il provient plus d’un soudain ras le bol du prof que d’une limite clairement posée, et qui aurait été clairement explicitée aux élèves. Tout à coup, il décrète : là, ça a été trop loin, là, j’exige des excuses, là, je te conduis chez le principal. Or l’existence de règles claires, non subjectives, est bien un des points fondamentaux, pour que les ados puissent se repérer.

Mais ses « faiblesses » pédagogiques donnent aussi au personnage de François sa force et son authenticité. Il n’est pas le bon prof pas plus qu’il n’est le mauvais, il est juste un type profondément concerné par ses élèves, à la fois plein d’énergie et plein de souffrances, un battant plein de combativité mais qui n’est pas à l’abri des incohérences.

Le film s’attarde plus longuement sur les difficultés, sur les tensions, sur les moments de crise que sur les moments positifs. Du coup on a un peu de mal à trouver crédible la fin du film qui montre que malgré tout la mayonnaise a pris, que malgré toutes les difficultés, les incompréhensions, les abyssales différences de codes et de terreaux culturels, une communauté scolaire a pris corps, comme cela s’exprime par exemple dans la partie de foot de fin d’année qui est un moment de vrai partage.

Ce que l’élève est contraint de faire est le plus souvent dépourvu de sens à ses yeux. Et c’est lorsque ce sens lui apparaît que les avancées deviennent possibles. De ce point de vue tout ce qui joue autour de la construction des autoportraits avec d’abord les refus, les réticences, puis l’acceptation de jouer le jeu, puis l’investissement, la réalisation, la production, l’exposition de soi aux regards des autres est remarquable. A travers ce travail le prof parvient à faire sentir aux élèves qu’il les reconnaît en profondeur, qu’ils ont une valeur pour lui, donc à annuler les effets des dérapages verbaux, qui pouvaient légitimement être interprétés comme des marques de mépris.

Quoiqu’il en soit je trouve ce film et la démarche qui l’a porté profondément sain. Ce n’est pas un film de l’extérieur, donnant un point de vue idéologique quel qu’il soit, faisant une analyse ou donnant des recettes, ce sont des bouts de vie, venus de l’intérieur, venus d’entre les murs, produit entre les murs, à partir d’expériences uniques appuyées sur le réel mais loin de toute généralité, loin de tout jugement.

J’ai acheté dans la foulée le bouquin de Bégaudeau et commencé à le lire. L’esprit est tout à fait le même. Il me semble cependant que le recours à l’écrit, que l’effort de positionner les règles, est un peu plus présent que dans le film ce qui le colore légèrement différemment. Et d’autre part, il s’agit d’une classe de 3°. Je me demande pourquoi le film nous parle d’une quatrième. l’âge et le look des ados évoque beaucoup plus des jeunes de troisième, même dans des collèges avec beaucoup d’élèves en retard.

C’est assez étonnant que ce film si peu conventionnel ait eu la Palme d’or. C’est très positif et ça va lui procurer une diffusion inespérée. Cela dit je me demande comment il peut être reçu à l’étranger où il risque d’apparaître plus encore qu’à nos yeux comme un simple documentaire montrant une école bien malade. Mais il faut croire que le jury a su percevoir une valeur universelle à ce qui peut paraître très marqué par le contexte français, avec les caractéristiques propres de notre école, ses règles et ses instances particulières. Ce qu’il a sans doute voulu primer aussi c’est une certaine façon de faire du cinéma, un cinéma impliqué (je ne dis pas engagé, surtout pas engagé !), un cinéma qui est une sorte de cinéma-action comme on dit qu’il y a des recherches-actions, un cinéma qui tire sa force d’une élaboration collective et ça c’est très bien.


entre_les_murs

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Commentaires
R
Bonjour Valclair,<br /> Je suis tout à fait d'accord sur le fait que ce film est pleinement une fiction. Comme je l'ai développé dans mon propre article sur mon blog, le film installe un climat réaliste pour soutenir son propos, mais ne prétend à aucun moment refléter LA réalité.<br /> A mon sens, la confusion vient de la mise en scène, mais aussi du choix de Bégaudeau lui-même pour interpréter le rôle du professeur. Malgré cela, il ne joue pas son propre rôle, mais bien un personnage de cinéma.
V
Merci de ton long commentaire Ada.<br /> Je suis d'accord avec toi sur l'extrême faiblesse pédagogique du prof, ses incohérences, et je comprends que ça mette mal à l'aise pas mal d'enseignants qui voient le film comme renvoyant une image fausse des pratiques pédagogiques. Mais c'est là qu'on retrouve le fait que ce film n'est pas un documentaire mais entre autre la présentation d'un personnage porteur d'un profond malaise, inspiré certes par Bégaudeau, par j'imagine ses propres souffrances et difficultés quand il était prof.<br /> Il reste que, et c'est ça que personnellement je trouve très fort et très positif, malgré tout ça, il se dégage globalement une énergie positive du film, l'impression que malgré tout, dans toutes ces contradictions, dans toutes ces incohérences, quelquechose se construit, quelquechose avance. C'est pour ça qu'on sort du film plutôt requinqué (moi en tout cas) contrairement au bouquin qui lui me parait complètement plombant. Et ça je crois que ça a à voir avec les acteurs, notamment les ados, leur présence intense. Je pense que cette réussite provient de la façon dont le film a été construit à travers le travail collectif, les ateliers théâtre du collège, ça c'est la vraie innovation et la source je pense de la force du film quelles que soient les réserves que l'on puisse avoir sur l'image de l'école et des profs qu'il renvoie.
A
Oh la la mon commentaire est bourré de fautes, mais je suis sûre que tu excuseras une prof surmenée...
A
Bon j'ai fini par aller le voir ce film. Avec mon mari, en me disant que comme ça il comprendrait mieux pourquoi je m'endors à 22h au plus tard...<br /> Il a compris, c'est déjà ça, merci Cantet... Mes élèves ressemblent beaucoup à ceux de ce film. Proximité géographique on va dire... <br /> J'ai trouvé que c'était un joli film, surtout grâce aux élèves. Mon compagnon ne s'y est pas ennuyé du tout. Quelques moments sont même bien attrapés: la détresse du professeur au tout début par exemple. J'ai adoré la première séquence, le café avalé lentement puis l'impulsion artificielle que se donne le prof pour rejoindre le collège en ce jour de pré-rentrée. A cette impulsion on a déjà tout compris. Et tu as tout à fait le film est nettement plus réussi qu ele livre. <br /> <br /> En revanche je ne le trouve pas crédible deux secondes dans son rôle de prof Bégaudaud. Et je m'étonne même qu'il n'y ait pas eu plus de violences dans cette classe. Avec une pareille attitude c'était pourtant inévitable: ils n'apprennent strictement rien ces mômes et ne travaillent jamais. Or un élève inactif présente plus de risques de déraper qu'un élève qui travaille. D'autant plus si son prof l'encourage dans son délire dans une déballage de paroles totalement inefficace et surtout inapproprié à la situation. Ben oui, c'est bête. La séance sur l'auto-portrait est, d'un point de vue pédégogique navrante, celle sur l'argumentation aussi. Ils sont sympas au fond ces élèves de jouer le jeu de vacuité de ce prof. Ils travaillent quand même. Moi si je faisais ça avec mes classes, ils n'écriraient pas une seule ligne et ils auraient raison. Mais naïve que je suis je refuse de croire qu'il puisse y avoir de tels fous chez les profs, qui viennent en cours sans aucun travail préalable en faisant copain copain avec les élèves. Surtout pas Bégaudaud qui doit être un minimum intelligent. <br /> Du coup je me demande ce que lui ou Cantet ont bien voulu dire avec cette caricature... une dénonciation d'une certaine "pédagogie" compatissante, celle du prof qui croyant bien faire s'extasie sur des photos prises par un élève sur son portable en guise de travail écrit ? Ce que tenderait à confirmer les dernières minutes du film et le résumé fait par Esméralda de la République de Platon qu'elle a lu seule et en dehors du cour évidemment, tandis que son prof de français trouvait, lui, Candide trop difficile pour eux. Le réalisateur voulait-il dire qu'ils ont effectivement besoin de contenu ces mômes ? Bégaudaud était-il d'accord ? Dans ce cas je trouve bien tordu de se mettre en scène de cette façon, on s'y perd, puisqu'on l'attend dans son propre rôle ! Si le film a été fait à base d'ateliers, je ne vois pas Cantet guider à ce point le contenu du cours. Au fond c'est peut-être ça la force de ce film: faire croire qu'il s'agit de la réalité or il ne faut pas prendre ce prof au premier degré. Enfin moi je ne peux pas... Ce n'est pas possible. Ou alors je renonce définitivement à envoyer ma fille au collège... <br /> Quelle perte de temps !D'ailleurs je note qu'au moment du bilan, les élèves revenant sur ce qu'ils ont appris ne citent rien à propos du français, ce ne peut être un hasard: c'est tellement vrai. Il est tordu ce film en fait. <br /> Mes remarques sont très désousues Valclair désolée, mais ce n'est pas tout ça, je dois aller préparer mes cours, moi...
A
Salut Valclair, <br /> J'ai lu ta note dès que tu l'as publiée, mais je n'ai toujours pas envie (pas le temps non plus d'ailleurs) d'aller voir ce film. C'est que l'année dernière, j'avais lu le livre et j'avais trouvé ça tellement dépressif, tellement décousu que... or j'ai besoin d'enthousiasme...
Les échos de Valclair
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