Retour sur une "redite"
J’ai repensé à ces deux
billets, qui, ici et là, à quelques semaines d’intervalle, commençaient de
façon presque semblable à partir d’un même micro-événement sans que j’en m’en
sois aperçu. Je me suis interrogé sur ce que pouvait signifier cette double
occurrence, sur ce qu’elle disait de moi même et de mon rapport à l’écriture.
Le fait que ce soit des clés
oubliées qui aient déclenché l’écriture n’est pas le plus important même si
c’est bien cet élément et certaines formulations de départ presque semblables
qui ont rapproché les billets dans l’esprit des lecteurs.
Ce qui est en jeu en réalité
dans l’un et l’autre billet, c’est plutôt la colère, enfin cette forme de
colère qui m’est assez spécifique, une exaspération intense tournée
exclusivement contre moi-même et née de sujets qui n’en valent pas la peine.
(Mais y a-t-il des sujets qui valent la peine de la colère ?) Les oublis
de clés ne sont qu’un élément déclencheur, il peut d’ailleurs y en avoir
d’autres tout aussi futiles. Je me souviens, entre autre, d’une drôle
d’histoire dans une boucherie (enfin drôle ?!)
Ces pulsions colériques ne
sont pas fréquentes heureusement et elles ne se voient guère puisque elles se
traduisent surtout par un bouillonnement et un mal être intérieur. Dans les
relations sociales je suis d’une humeur plutôt facile et en général joyeuse.
Mais ces colères sont un élément sous-jacent de ma personnalité qui me sont
particulièrement odieuses. Je voudrais pouvoir les éradiquer sans trop croire
que cela soit vraiment possible. En parler de ce point de vue constitue une
sorte de thérapie. Et c’est pourquoi aussi lorsque de tels incidents
surviennent, aussi brefs soient-ils, j’ai tendance à les pointer en les
évoquant dans le journal, pour ne pas les laisser passer, pour mieux les
conscientiser, en quelque sorte pour me dire « alerte » à moi même.
Je pense que c’est la
brièveté du temps de l’incident qui fait que la dernière fois il ne s’était pas
inscrit dans mon souvenir. Cette fois ci aussi la pulsion a été très brève.
D’ailleurs ce n’est tant sur la colère que j’ai écrit, mais plutôt sur ce qui
m’en a prémuni alors qu’elle menaçait. C’est l’écriture justement qui m’a aidé
à basculer dans un état, disons, contemplatif, et qui m’a permis finalement de
jouir de ce moment volé au quotidien professionnel plutôt que de bougonner. Car
ma jouissance de l’instant surgissait de cette attention que j’étais contraint
d’accorder à ce qui m’entourait pour pouvoir en gribouiller le récit sur mon
carnet. C’était donc d’une écriture avant tout pour moi-même, pour mon propre
confort et ma propre satisfaction qu’il s’agissait.
Rentré à la maison, alors
que l’incident avait été largement recouvert et annihilé par les évènements et
les actes de la suite de ma journée, j’ai néanmoins pris le temps de
retranscrire mes pattes de mouche, tout en améliorant la forme de l’écriture
avant de mettre en ligne. J’y ai donc consacré un certain temps dans le but
cette fois de la donner à lire. Rétrospectivement je me demande si j’aurais eu
la même motivation à le faire si je m’étais souvenu du précédent billet. Ne me
serais-je pas dit : voilà, j’ai déjà parlé de ce genre de chose il y a
peu, pas la peine d’en remettre une couche, de bassiner mes lecteurs avec ça
encore une fois, autant laisser ces mots là où ils sont, maintenant qu’ils ont
épuisé la fonction qu’ils avaient vis à vis de moi-même ?
Ce n’est pas ce qui s’est
passé. Et heureusement. C’est signe que cette écriture reste bien aussi dans
l’authenticité du journal de soi. Même si le fait d’écrire dans la perspective
d’être lu, même si le plaisir du partage et de la communication, est devenu un
moteur essentiel de mon écriture, ce genre de surgissement, presque impromptu,
lié au besoin d’écrire, contribue à préserver le journal d’un affadissement
auquel pourrait conduire son caractère de plus en plus public, de plus en plus
communicationnel. Et même si c’est au prix de quelques répétitions ou
redondances que j’assume, et qui sont quasi consubstantielles à la forme journal.