Juguler la colère
Ce matin, huit heures et
demi. J’arrive au bureau. J’avais besoin d’y passer assez tôt pour faire
quelques courriers urgents avant le long week-end. Ensuite dès dix heures je
dois repartir pour des réunions extérieures pour toute la journée. Je fouille
mes poches, ma sacoche. J’ai oublié mes clefs ! Mes autres collègues
n’arrivent qu’à neuf heures et demi ! Merde ! Coincé !
Une violente vague de colère
me submerge. Je maudis mon étourderie, je me traite de tous les noms, je
trépigne des pieds en pensée. Repartir chez moi, chercher la clef ?
Absurde, l’aller et le retour me prendrait trop de temps. Il n’y a qu’à
poireauter en grondant intérieurement.
Enfin non, il ne faudrait
pas gronder intérieurement ! Il faut au contraire faire refluer la colère
imbécile. Ravaler l’incident à sa véritable importance qui est minuscule. Je
prends de grandes respirations comme on me l’a appris au yoga lorsque j’en
faisais. Je vais au jardin public tout proche. Je m’assieds sur un banc. Le
matin sent le printemps.
Attendre oui. Regarder le
ciel qui est bleu, regarder le feuillage des arbres. Apprécier la caresse du
soleil. Ecouter le chant des oiseaux. Tenter de me concentrer sur ce chant, de
l’isoler de la rumeur du périphérique proche.
Prendre un livre ? Je
n’ai pas avec moi mon livre en cours (Murakami toujours). Sortir le petit
carnet de mes écritures ? Je ne l’ai pas non plus. Décidément j’ai tout oublié
ce matin. Alors je prends mon agenda professionnel et je pose mes mots sur les
pages du mois d’août qui sont de toute façon destinées à rester vierges de tout
rendez-vous ou activité.
Voilà j’ai commencé
d’écrire. Le jardin est calme. Je ne suis pas si mal, à être là, à regarder, à
écouter, non ? Voici l’inévitable jogger matinal. Deux autres personnes se
sont installées sur des bancs depuis mon arrivée. Un mauvais nuage passe dans
le ciel, masquant le soleil. Il fait un peu frais. Je vais bouger. De toute
façon l’heure a tourné. Des collègues sûrement sont arrivés au bureau, je vais
pouvoir y passer pour repartir presque aussitôt. Tout de même il n’y avait pas
de quoi se laisser attaquer par la colère ! Pas de quoi écrire non plus
ces mots sans intérêt. Enfin, ils ont l’intérêt de m’avoir aidé à regarder le
ciel, à écouter les oiseaux, à juguler la colère, ce qui n’est pas si mal.
Personne ne mourra des
courriers que je n’ai pas écrits ce matin. Mardi je viendrai un peu plus tôt
c’est tout. Sans oublier mes clefs !