L'insurpassable plaisir du théâtre
Jeudi, le temps était absolument somptueux. Journée automnale fraîche et lumineuse, ciel bleu et soleil généreux. J’avais une réunion professionnelle en début de soirée, du coup j’en ai profité pour me libérer tout le début d’après-midi, je suis parti nez au vent en me disant que j’irais au cinéma mais il faisait si bon que je suis resté dehors, j’aurais eu envie d’être dans une forêt, de me balader sous les arbres roussis, avec les pieds foulant les feuilles tombées… Je me suis promené un peu dans le Luxembourg puis me suis assis à l’une des terrasses de la rue Médicis en plein soleil à cette heure là et, en sirotant un café, j’ai commencé à écrire sur mon petit carnet. Je voulais évoquer un moment théâtral vécu le week-end dernier, voici ce que j’ai écrit et dont je n’ai que ce matin trouvé le temps de le retranscrire et de le peaufiner:
Je vais bien moins souvent au théâtre qu’au cinéma car les contraintes d’organisation, de réservation (et les prix aussi il faut bien dire) sont souvent dissuasifs. Mais depuis deux ans on a pris un abonnement dans le sympathique théâtre de notre quartier ce qui nous assure de voir au moins quelques spectacles tous les ans.
Le week-end dernier nous avons vu « Variations autour de l’Épreuve de Marivaux ». La troupe avait donné l’an dernier un spectacle qui s’appelait « Le jour de l’Italienne » et qui racontait avec beaucoup de verve et de drôlerie les diverses étapes de la mise en scène de la pièce, les complicités mais aussi les tensions entre les acteurs. C’était du théâtre sur le théâtre, comme « La nuit américaine » de Truffaut était du cinéma sur le cinéma. J’avais beaucoup aimé. C’était à la fois extrêmement plaisant et aussi très pédagogique en permettant de mieux comprendre comment se monte une pièce, comment ça fonctionne, le théâtre, en général.
Cette année la troupe redonnait une version concentrée du « Jour de l’italienne », allant cette fois jusqu’à la répétition générale, c’est à dire en fait jusqu’à la représentation complète de la pièce, simplement en faisant comme si c’était devant une salle vide. Un vrai régal ! A la fois grâce au texte tellement vif de Marivaux et à ce supplément de profondeur et de sens que lui donne le fait d’être mis en abyme dans le récit de la façon de le faire advenir. Le plaisir en était encore accru du fait de revoir la même troupe, de retrouver une bande de gens qu’on avait l’impression de connaître, c’était comme de prendre de leurs nouvelles, c’était assister à leur aboutissement.
Ça souligne d’autant plus ce qui fait la force intrinsèque du théâtre, ce qui est sa puissance insurpassable, qui nous place d’emblée sur un autre terrain que devant un film, aussi admirable soit-il, aussi excellents soient les acteurs (et on sait que pour moi le plaisir du cinéma est souvent d’abord le plaisir que me donnent des acteurs).
Au cinéma on dit qu’ils s’incarnent lorsqu’ils sont bons, et c’est vrai d’une certaine façon, mais en même temps, on sait qu’ils restent des images, qu’ils n’y sont pas, en réelle présence.
Tandis qu’au théâtre on est face à des personnes réelles, à la vie même, chaque jour recommencée et chaque jour forcément, ne fut-ce qu’imperceptiblement, différente.
Au fond ça à quelque chose à voir avec la différence entre nos blogamis à distance et nos blogamis lorsqu’ils s’incarnent dans des rencontres réelles.
Je suis toujours très ému à la fin d’un spectacle, lorsque les acteurs viennent saluer, c’est le moment le plus intense de la communion entre ceux qui ont donné et ceux qui ont reçus (quoique de l’avis d’amis théâtreux, ceux qui reçoivent donnent aussi, chaque spectacle est différent aussi de par ce que les acteurs ressentent venant de la salle).
Cette communion a un côté illusoire évidemment. On ne connait pas les acteurs, on ne va pas les voir dans leur loges ou prendre un pot avec eux le spectacle fini (sauf évidemment lorsque ce sont des amis par ailleurs). Lorsque les clap-clap sont terminés, lorsque les acteurs se sont évanouis, c’est fini, mais on garde tout de même quelque chose de chaud dans le cœur.
Et ici l’impression était d’autant plus forte que le sujet même des deux pièces étaient les rapports entre la vie et le théâtre, que l’on a vu la même troupe à quelques mois d’intervalle, et que l’on a assisté cette fois-ci à l’aboutissement de ses efforts. Cette re-vision réactive la relation entre eux acteurs et nous spectateurs en lui donnant une profondeur temporelle dont on voudrait qu’elle se poursuive dans d’autres aventures théâtrales aussi chaleureuses.