Un week-end très (trop?) encombré
Ce week-end était étrange,
chahuté, avec de bons moments mais aussi des vagues d’angoisse profondes.
Peut-être ai-je justement rempli mon week-end avec frénésie pour contrebalancer
ces sourdes angoisses qui planaient.
Mon envie aurait été de
partir, une envie qui me taraude cette année plus que d’autres printemps, envie
de mer, envie de Bretagne en particulier, de sa lumière, de l’océan, de sa
puissance, de ses marées, de cette respiration qui d’emblée nous met en lien
avec un souffle essentiel.
Je travaillais vendredi (il
faut bien que je travaille un peu !), alors, cette option départ était
fermée, notre week-end forcément serait parisien.
Jeudi tout de même nous
avons été marcher à Fontainebleau, cinq bonnes heures dans la forêt, plus la
visite de la collégiale Saint Mathurin de Larchant, avec sa nef et sa haute
tour ruinée mais aussi sa partie préservée, en particulier la superbe Chapelle
de la Vierge à la belle élévation gothique. J’ai eu le lendemain quelques légères
courbatures, signe que vraiment je ne marche plus assez. Les acacias au rebord
de la forêt était en pleine floraison et embaumait délicieusement : nous
avons ramené une brassée de fleurs dont on a fait le lendemain des beignets au
goût léger et subtil. La lumière pendant la promenade n’était pas très belle et
on a pris en milieu de journée une bonne averse orageuse mais n’empêche,
c’était bien, il me faut renouer plus fréquemment avec les randonnées, elles me
font du bien.
Vendredi était la journée la
plus éclatante du point de vue de la météo. Quel ciel, quel pureté de bleu
comme on en voit rarement à Paris. Le regarder depuis les fenêtres du bureau me
serrait le cœur. En sortant j’ai été à la BNF Richelieu voir l’exposition
« Controverses, Photographies à histoire », passionnante sur le
statut de l’image dans la société. Mais j’ai fait une heure et demi de queues,
queue dans la cour, queue à la billetterie, queue à l’entrée de la salle. Il le
fallait pour qu’ensuite la visite puisse s’effectuer dans des conditions à peu
près correctes, en pouvant accéder d’assez près aux photos et aux cartels
d’explication sur les questions que ces images avaient posées. Mais dans la
queue je me demandais vraiment ce que je fichais là, mouton parmi les moutons.
Qu’allais-je chercher vraiment ? Et je repensais aux rythmes de la mer, à
mes envies d’espace et de grand large, tellement plus essentielles…
Samedi a mal démarré, par un
réveil intempestif en milieu de nuit sur des méchants cauchemars, je me suis
senti envahi de pensées mauvaises, envahi d’angoisse comme cela arrive parfois
paradoxalement face à mon temps libre, avec cette peur de me sentir sans
ressort, ayant la pensée de quantités de choses à faire et la crainte de ne
parvenir à me mettre vraiment à rien parce que rien ne me paraît faire vraiment
sens, c’est l’angoisse de l’acédie (un peu savant le mot ! Mais il dit
bien ce qu’il veut dire, pour évoquer cette sorte de paresse de l’âme qui
parfois nous saisit et nous paralyse. J’avais découvert le mot lors de la
fameuse exposition sur la Mélancolie au Grand Palais, il me parle ce mot, même
si je n’y mets pas les connotations proprement religieuses qui sont les
siennes).
Je me suis secoué et j’ai
secoué un peu Constance, et nous avons été ensemble à l’excellente exposition
Tati. Du coup j’ai envie de revoir à nouveau ses films. Certains d’entre eux
lors de visions précédentes m’avaient un peu déçu, m’avaient paru vieillis,
presque ennuyeux, mais je crois que je les reverrai encore différemment
aujourd'hui en m’attachant plus attentivement à toutes les perles burlesques
qu’ils recèlent et aussi à ce qu’ils nous disaient, il y a déjà longtemps,
d’une certaine modernité déshumanisante.
En soirée j’étais invité à
assister à un chantier théâtral à Vitry autour d’un auteur que je ne connaissais
pas, Philippe Malone. Là aussi il a fallu que je me booste pour y aller mais je
n’ai pas regretté. Ce sont des amis lyonnais qui officiaient, ceux-là même qui
avaient donné un Berg et Beck auquel j’avais assisté lors de mon récent
week-end dans la région. C’est un concept assez intéressant que cette ouverture
au public de chantiers en train de se faire, ça nous sort de la pure
consommation. On a pu participer dans une ambiance conviviale, dans le jardin
d’un pavillon mitoyen du théâtre, a une riche discussion sur le travail en
cours. La lecture par Malone lui même de son texte « Septembres »
était impressionnante. La présentation de « III » m’a paru moins
convaincante : il y avait une certaine gêne des acteurs face à un texte
qu’ils ne connaissaient pas suffisamment (il était lu, mais ça c’était normal,
attendu, s’agissant d’un work in progress). Mais, même si tous lisaient, la
différence entre les acteurs était patente, certains paraissaient investis du
texte, d’autres vraiment pas du tout. C’est là qu’on réalise à quel point c’est
l’acteur qui donne de la force à un spectacle (comme à un film d’ailleurs),
c’est lui qui fait que ça passe ou pas, que ça s’incarne ou pas. Et puis le
texte lui-même m’a paru plus faible. Transposer Richard III à notre époque,
faire du tyran torturé de Shakespeare un grand capitaliste de l’ère de la
mondialisation et que le drame se termine dans le sang de la révolution, c’est
un procédé assez banal et qui joue de caricatures un peu faciles.
Dimanche, hier, le temps est
devenu quasi estival, avec de la vraie chaleur, pas encore étouffante, mais qui
évoque vraiment l’été, qui permet qu’on s’habille en chemisette et shorts. Nous
allions déjeuner chez ma belle sœur. Nous y sommes allés en vélo, c’était un
plaisir, cette excursion au long de la coulée verte (enfin à peu près
verte !) jusqu’aux abords du parc de Sceaux où elle habite.
Au retour, sur ma terrasse
où le chèvrefeuille est en pleine floraison, je me suis laissé emporter par les
pages d’un roman. J’attaque « La ballade de l’impossible » de
Murakami, on y retrouve quelquechose de l’ambiance doucement mélancolique de
« Au sud de la frontière, à l’est du soleil » que j’avais adoré mais
je suis à priori moins convaincu. Ce livre ci me paraît plus lent, plus étiré,
ou est-ce simplement que, retrouvant la même tonalité que dans « Au
sud », je n’ai plus cette fois le vif plaisir de la découverte d’un ton et
d’un style que je ne connaissais pas.
Donc j’ai occupé l’espace,
j’ai occupé le temps. Je ne l’ai pas mal occupé et j’aurais mauvaise grâce à me
plaindre. N’empêche revenait sans cesse me tarauder la question du sens et de
ma place dans tout cela.
Voyant mes amis lyonnais je
me disais qu’ils n’avaient pas, eux, hésité à rompre avec des quotidiens
professionnels sans relief pour s’engager dans des aventures créatives, plus
précaires, plus risquées, mais plus passionnées, plus conformes à ce qu’ils
étaient en profondeur et à travers laquelle, par les thèmes, les sujets qu’ils
choisissent, par le rapport aux autres qu’ils entretiennent, ils peuvent
continuer à se sentir fidèles aux valeurs de nos années militantes. J’ai eu
aussi des bouffées de dégoût par rapport à mes écritures, comme une rage par
rapport à ce que j’écris, trop tourné sur moi-même, comme une rage par rapport
à tous ces blogs que je lis, qui à la fois me passionnent et me ramènent trop
vers mon propre nombril.
C’étaient des vagues,
passant et se retirant. Je ne vais pas abandonner mes écritures sur un coup de
tête. Elles sont bien trop chevillées en moi. Je sais très bien tout ce que le
blogomonde et l’écriture m’apportent. Et d’ailleurs me voici de nouveau là,
j’ai remis le nez dans mes blogamis avec plaisir, j’ai repris le clavier et
écrit cette longue note, en partie hier soir déjà, en partie ce soir, mais sans
pouvoir empêcher que toujours il y ait ces ombres.
Toutes sont liées
naturellement. Et sont récurrentes. Je sais très bien que la vie ne repasse pas
les plats, que vouloir reprendre le film n’a aucun sens, que regretter et
tourner et retourner ces mauvaises pensées n’amène rien. Mais je sais aussi
qu’il n’y a pas d’éponge magique pour les effacer. Et je ne peux empêcher que
parfois, trop souvent, elles m’envahissent, polluent mon paysage, empêchent mes
plaisirs et mes bonheurs d’être sans mélange.