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Les échos de Valclair
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13 janvier 2009

"Synguè sabour (Pierre de patience)"

Cela faisait un moment que je voulais écrire un billet sur ce livre d’Atiq Rahimi, primé par le Goncourt. Il faisait partie de ces billets en instance, en attente, de ceux qui virevoltaient au bord de ma conscience, voire au bord de mes lèvres depuis quelques temps. Je l’ai lu au début des vacances. Je me l’étais procuré peu après sa parution. Il avait rejoint ma Pile à Livres bien avant le prix, grâce en particulier à la note que lui avait consacré Samantdi.

C’est un des livres les plus durs que j’ai eu l’occasion de lire. Mais contrairement à Wictoria je ne l’ai approché à petits pas, je l’ai avalé en deux soirées, en deux longues gorgées qui ne m’ont pas laissé indemne. Il y a quelquechose de terriblement glaçant dans la façon dont est mené le récit, un ton d’objectivité clinique, fait de phrases courtes, souvent répétitives, au présent, avec des personnages non nommés, l’homme, le femme, il, elle, dans un cadre décrit sans fioriture, la maison dans la ville en guerre où repose le mari vivant mais comme mort dans son profond coma, avec le goutte à goutte implacable de la perfusion qui le relie à la vie, avec les mouches qui tourbillonnent, se posent sur les mains, sur le visage, aux commissures des lèvres immobiles.

La femme est à priori, par tout ce qu’on lui inculqué, dans le respect de cet homme dont elle attendrait protection mais on elle sait bien qu’il ne peut plus rien, qu’il n’est plus rien. Elle lui parle au creux de l’oreille, entre dévotion inculquée et révolte impuissante, entre colère et honte de sa propre colère comme si celle-ci venait d’une démone en elle. Cependant elle prend progressivement conscience à mesure qu’elle revisite sa propre histoire de la façon dont elle a été écrasée par l’homme, par la famille, par la religion, par les valeurs (si l’on peut dire !) qu’il porte. L’homme immobile devient sa pierre de patience, cette pierre magique de la mythologie perse, accueillante aux douleurs de qui se penche sur elle. La femme déverse en lui ses malheurs, ses souffrances, sa rage jusque là muette et aussi les secrets toujours tus, les tours et les ruses qu’il lui a fallu mettre en œuvre pour survivre, elle voudrait maintenant qu’il est devenu inoffensif qu’il puisse l’entendre et ce lui serait une forme de vengeance.

Le livre file vers sa fin apocalyptique. Il n’y a aucune espace d’espérance. Certaine figures pourraient y faire croire : ainsi le beau père porteur des vieilles sagesses d’orient et réfractaire aux idéologies mortifères mais il y a longtemps qu’il est mort ; ainsi le jeune soldat, lui même martyrisé, avec qui elle échange quelques tendresses mais dont elle devine qu’il deviendra un soudard comme les autres effrayés des femmes, « ceux qui ne savent pas faire l’amour font la guerre » ; ainsi encore sa tante échappée des liens familiaux mais qui n’a pu que se réfugier dans un bordel.

C’est un livre terrible. Je n’ai pas tellement aimé la forme d’écriture choisie par Atiq Rahimi. Disons que je n’ai pas été séduit par cette forme d’impersonnalité, par cette scansion toujours la même, par cette langue et ces images trop répétitives, trop sèches qui font coup de poing mais ne permettent pas la rêverie. Sans doute tout cela est-il voulu. Il ne s’agit pas de séduire mais bien d’assener ce coup de poing avec toute la vigueur nécessaire en nous laissant un peu groggy au bout de notre lecture. Non il n’y a aucun espace pour l’espoir dans ce livre, si ce n’est le fait qu’il ait été écrit et qu’il cheminera sans doute dans les consciences comme un cri. Mais ne serait-ce que pour cela il faut le lire absolument.


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Commentaires
V
Mes deux dernières correspondantes soulignent donc plutôt comme moi le côté très dur du livre.<br /> Merci Aude du lien que tu me donnes vers tes lectures orientales, j'ai moi aussi énormément aimé Satrapi et spécialement le film qui est bien plus qu'une simple adaptation de la BD
A
Tout à fait, un livre terrible...j'en parle dans ma dernière sélection, un livre bien écrit mais glauque, un peu étouffant.
W
on m'a prêté ce livre, que j'ai lu en 3 jours (6 voyages) j'aurai pu faire moins mais comme je l'écrivais, il fallait que je relève la tête, et que j'écrive, que je m'échappe de cette atmosphère pesante et infirme, oui, une atmosphère rendue encore plus réelle avec ce qui se passe en ce moment non loin de là, dans la bande de Gaza. Les drames intimes cotooent les drames de l'humanité, difficile pour moi d'y trouver une quelconque poésie donc...pauvres femmes, pauvres enfants, pauvres éducations, pauvres croyances (pardon sur ce derniers points, je suis une sorte d'athée !)
V
Oui, très intéressant de confronter les points de vue et merci d'apporter les vôtres qui allègent un peu le mien en donnant une vision un peu moins noire.<br /> En disant que tu as été trop émotionnée pour pouvoir vraiment parler de ce livre tu touches peut-être, Ada, à ce qui m'a moi-même perturbé: ce côté coup de poing à l'estomac quasi permanent.<br /> C'est cela qui fait que j'ai pu être insensible à ces espaces propices à la rêverie que toi tu as pu trouver Samantdi.<br /> Je reconnais la force, l'astuce, la puissance de vie cette femme, ce qui certes est présage positif pour l'avenir mais rien de cela ne triomphe dans le présent du livre.<br /> Cela dit peut-être essaierais-je de relire quelques pages, peut-être trouverais-je plus de qualité au style maintenant que j'ai passé cette phase de choc premier.
D
Bonsoir Valclair, comme samantdi et ada, je n'ai pas trouvé cette histoire dure. Elle est terrible mais à mon avis moins que the road de McCarthy. Je l'ai lu comme un poème, une psalmodie. C'est l'incarnation d'une femme qui souffre de sa condition et qui le dit. Et c'est un homme qui l'écrit. Il est dur d'être femme dans certains pays et je ne suis pas sûre que cela s'améliore. Bonne soirée.
Les échos de Valclair
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