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Les échos de Valclair
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3 février 2010

Lectures de Romain Gary

Je m’aperçois que j’avais finalement très peu lu Gary. J’avais lu le versant Ajar, « Gros-Câlin » et « La vie devant soi » comme presque tout le monde mais c’est tout. Je croyais connaître l’écrivain parce que je connaissais un peu sa vie, souvent médiatisée, le diplomate et gaulliste atypique, le mari de Jean Seberg, l’homme aux deux prix Goncourt et aux extraordinaires imbroglios identitaires, le suicidé enfin. J’ai toujours été assez fasciné par le romanesque de cette vie mais pas suffisamment à ce que je vois pour le lire vraiment. Le prochain café littéraire de l’Oeil bistre au comptoir auquel je compte bien aller (ça se passera le dimanche 14 février à 17h au café l’Apostrophe, 23 rue de la Grange aux Belles) m’a donné l’occasion de plonger dans son œuvre qui est considérable.

Les trois livres que j’ai avalés jusque là, lus l’un derrière l’autre, me frappent par la diversité de leur climat comme de leur style.

***

« Pseudo » est le plus ébouriffant. C’est l’histoire, narrée par lui-même, d’un certain Paul Pavlovitch vivant à Cahors que son refus de la réalité conduit à être traité pour maladie mentale en divers lieu et notamment dans une clinique de Copenhague. La réalité comme l’identité sont insupportables, il faut les fuir, s’en créer de nouvelles, il faut faire « pseudo-pseudo » et écrire pour évacuer la réalité. C’est ce que fait notre Pavlovitch en s’inventant l’identité d’Ajar et en écrivant « Gros câlin » et « La vie devant soi ». Le tout avec la bénédiction et le financement de son oncle, l’effrayant et bien nommé Tonton Macoute, qui pourrait d’ailleurs tout aussi bien être son père.

Le discours est délirant avec brio. La logique y est comme inversée. La réalité est décrite comme un fantasme tandis que le fantasme est présenté comme le réel. A partir de ces prémices se développent des raisonnements très construits. L’écriture a une fonction thérapeutique. C’est en écrivant les livres d’Ajar que le fou Pavlowitch se soigne.

« Le docteur Christianssen m’encourageait à écrire neuf à dix pages par jour pour diminuer les doses de réalité en les évacuant. Il disait que la littérature était pour moi une défécation salutaire »

« Pseudo » devient vertigineux quand on sait que Pavlowitch existe en réalité, que c’est le neveu de Gary, auquel celui-ci a confié la tâche de se faire passer pour Emile Ajar. Le livre a pour fonction de valider cette hypothèse et de contribuer à la mystification.

« J’étais une mystification, un canular. Je présentais évidemment quelques signes extérieurs d’existence mais c’était de la littérature ».

Le récit en devient terriblement troublant. Il est passionnant par l’éclairage qu’il donne sur l’affaire Ajar et par ce qu’il révèle, au-delà du jeu littéraire brillant, des troubles d’identité réels et profonds de Romain Gary. C’est aussi un jeu avec le feu, une fuite en avant et il est bien possible que les impasses identitaires dans lesquelles Gary s’est retrouvé contribuent à expliquer son suicide.

***

« Au delà de cette limite votre ticket n’est plus valable » m’a mis profondément mal à l’aise.

Le monde de chefs d’entreprise friqués décrits, sans grande distance, m’est profondément antipathique. L’approche de la sexualité du narrateur vieillissant m’y a paru obsessionnellement phallocratique et j’ai trouvé le parallélisme qui est constamment mené entre puissance sexuelle déclinante et perte de puissance économique du patron mal en point trop systématique, relevant du procédé. Ainsi faut-il envisager de déléguer, en tant que patron en prenant un jeune directeur exécutif, en tant qu’amant en fantasmant de fournir à sa maîtresse un jeune amant vigoureux, de préférence issu des pays neufs. Car ce parallélisme s’étend au-delà des situations individuelles à la société toute entière : au-delà du déclin de l’amant et du chef d’entreprise en difficulté, il y a le déclin de l’occident, vieux monde fatigué et sans ressource et qui sera balayé par ceux qui ont le nombre, les matières premières, les réserves énergétiques et la vigueur sexuelle de la jeunesse.

Je sais bien sûr que mon malaise n’a pas qu’une source intellectuelle. Il est évident qu’il fait aussi écho à des angoisses que chaque homme éprouve peu ou prou en arrivant à un certain âge auquel précisément j’atteins. La jouissance ne se résume pas à la puissance de la bandaison, n’empêche… A cet égard le troisième chapitre qui rend compte de façon particulièrement précise et crue d’un entretien avec un médecin sur tous les aspects physiologiques du vieillissement dans la sphère urogénitale m’a paru quasi insoutenable et j’ai dû m’accrocher pour ne pas sauter des passages. Il faut dire que je suis particulièrement malmené par toute description clinique qui me fait ressentir presque immanquablement quelquechose des symptômes qui sont décrits. (Je me souviens encore avoir longuement différé la lecture de Mars de Fritz Zorn, à cause de cette peur). Décidément, je n’aurais jamais pu être médecin, voilà au moins une vocation que je sais ne pas avoir raté !

Bon, il faut reconnaître que la chute qui n’est pas celle que l’on attend, modifie un peu la perspective, éloigne la désespérance la plus noire, requiert la « prothèse » tout en donnant cependant sa chance à la tendresse mais que pèsent trois pages sur tout un livre, même si ce sont les dernières ?

***

Enfin j’ai lu « Les cerfs volants » qui est un très beau livre et de loin celui que j’ai préféré.

L’histoire court entre le début des 30 et la Libération, entre la France et la Pologne. Ludo le petit campagnard normand est amoureux fou de Lila l’aristocrate polonaise. Par la puissance de l’imagination il la garde présente en elle pendant tout le temps où les vicissitudes de l’histoire les éloignent, lui en France, elle repartie dans sa Pologne natale. L’amour fou est plus fort que l’affreuse réalité des temps. L’oncle et tuteur de Ludo fabrique des cerfs-volants qui symbolisent l’envol vers le bleu, qui sont l’espérance et en eux-mêmes signes de résistance opiniâtre. Ludo est résistant, Lila est contrainte de frayer avec les occupants mais elle participe aux réseaux d’officiers allemands qui tentent de monter des complots contre Hitler. Elle revient en Normandie dans la suite d’un général, mais ils se retrouvent et l’amour est toujours là. Lila est tondue à la Libération mais « la culpabilité de cul ce n’est rien par les temps qui courent ». Il y a des pages magnifiques sur l’humanité et l’inhumanité commune des hommes au-delà des lignes de front qui les séparent.

Le tragique de la condition humaine comme toujours chez Gary n’est jamais très loin mais sous les coups de la poésie, de l’imaginaire, et de l’amour, il semble relégué aux oubliettes. Dernier livre publié du vivant de Gary, on pourrait supposer qu’il soit signe que l’auteur a atteint à une forme de sérénité. Quelques mois plus tard il se suicidait !

Contrairement aux deux autres c’est un livre qui ne crée pas du malaise, qui, au contraire, fait se sentir heureux. J’aime les livres qui font se sentir heureux. Si vous n’en lisez qu’un, lisez celui-là. Et c'est très certainement un extrait des Cerfs-volants que je lirai au Café du 14 février...

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Commentaires
C
Moi aussi je viens de découvrir R.Gary après 35 ans de vie en Allemagne.<br /> J'ai trouvé "Clair de femme" fascinant par la rencontre de 2 êtres dépossédés de leur moitié, ecorchés et cependant ouverts à un nouveau départ.
N
j'espère que vous ferez un commentaire sur le café romain gary de demain...<br /> j'ai découvert romain Gary il y a quelques années, je suis loin d'avoir tout lu, je vous conseille : les Enchanteurs, c'est magnifique, un faux roman historique situé dans une Russie en partie fantasmée ; Chien Blanc, sur le racisme aux Etats-Unis dans les années 60 ; Lady L., une charge très dure et très comique contre l'anarchisme ; Education Européenne, très beau roman sur la guerre et la résistance ; la Promesse de l'Aube, bien sûr, son autobiographie romancée ; Et la danse de Gengis Cohn, un livre très étrange en deux parties, sur la mémoire de la shoah, et sur l'humanité jamais rassasiée de crimes et de massacres. <br /> bonnes lectures !
M
Il est clair qu'avant de pouvoir embrasser une carrière de médecin, on a intérêt à savoir se mettre à distance, sinon, on devient vite hypochondriaque! Je n'échappe pas à la règle, puisque je me précipite chez le premier spécialiste imbu de sa fonction à la première alerte, craignant le pire du pire alors que ça ne va pas si mal...<br /> <br /> Je ne connais pas Gary. Le premier aurait ma préférence peut-être, d'après la description que tu en fais. Quant au second...Ah! Les angoisses de performance des hommes...! Voilà qui doit être terrible à vivre. Il faut avouer aussi que certaines partenaires ne font rien pour rassurer leur homme, le castrant psychiquement d'abord.<br /> <br /> Mais... je m'accorde bien peu de temps pour lire... Erreur, sans doute. J'ai la faiblesse de croire que j'ai encore la vie devant moi pour ça!
Les échos de Valclair
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