Froidures
J’en ai marre de cette
froidure qui ne nous lâche pas.
Aujourd'hui ça va un peu
mieux, il fait froid mais sec, avec un ciel lumineux, c’est déjà ça.
Mais tous les jours
précédents c’était, sous un ciel uniformément gris, un froid humide, venteux,
pénétrant, trouvant à s’insinuer malgré les manteaux fermés.
Habituellement j’aime bien
les vingt minutes de marche qui me mènent à mon bureau, je les effectue avec
une part d’allégresse, même si c’est pour aller rejoindre un travail dans lequel
les satisfactions sont devenues rares. J’apprécie cette sorte de sas ouvert à
la rêverie par lequel je transite entre deux pans de ma vie. Mais tous ces
jours derniers j’ai effectué ce parcours menton dans le col, corseté, tendu,
trouvant la marche longue, interminable. Et je me traîne en plus un rhume dont
je ne parviens pas à me défaire et qui racle dans mes bronches.
Alors, plus que d’habitude,
cette froidure, cet hiver qui ne veut pas finir, me pèse et joue sur mon moral.
Une froidure qui s’insinue dans le cœur aussi.
Hier, en plus, il y avait la
grève que je n’ai pas faite et j’en étais mal à l’aise.
Je me sens à côté, ailleurs,
conscient de la dureté des temps et en même temps, de moins en moins concerné.
C’est une autre froidure : ma froidure à l’égard du monde !
Je me pose de plus en plus
la question du sens de la grève dans un service public. Qu’est ce que ça aurait
apporté de constructif que mon service soit fermé aux usagers ? Je ne suis
pas le seul d’ailleurs : manifestement pas mal de gens notamment dans les
transports ont hésité pour des raisons similaires (enfin, j’imagine aussi à
cause de la perte de salaire) tout en étant solidaire du mouvement. On a vu
aussi les agents d’EDF dans le sud-ouest continuer à remettre en fonctionnement
les lignes tout en se manifestant grévistes.
En fait c’est plus mon
absence de participation à la manifestation qui m’a pesé.
J’aurais voulu y être, moi
qui suis un fonctionnaire protégé, par solidarité avec ceux qui sont
directement touchés par la crise, qui se retrouvent au chômage ou dans des
situations de plus en plus précaires. Et aussi pour affirmer mon opposition aux
choix qui sont faits et notamment aux coupes sombres effectuées dans certains
services publics.
Mais là encore pas
d’évidence. Avec qui défiler ? Je me sens totalement décalé des
revendications syndicales de ma petite corporation qui répète depuis des années
les mêmes slogans et s’est montré incapable de tracer des voies de réformes
indispensables. Je n’avais aucune envie de marcher avec eux. On se sent bien à
manifester quand on est dans l’appartenance. Au moins dans une appartenance
groupale à défaut d’une appartenance politique ou syndicale. Mais je ne me sens
plus d’aucune appartenance. Alors marcher de ci de là en m’agrégeant à tel
groupe ou à tel autre juste comme ça ? Ou pire me mettre sur le côté de la
manif et regarder défiler comme le ferait un quelconque cacique du PS, écharpe
tricolore en bandoulière ? Je ne supporte pas, rien ne me met plus mal à
l’aise que ce comportement de voyeur.
Je me sens exilé par rapport
à ma vie professionnelle. J’appartiens à des services qui sont très bousculés
et qui me paraissent même condamnés dans la forme dans laquelle ils existent.
Je ne les défends pas tels qu’ils sont, je vois trop ce qui dysfonctionne mais
je n’ai pas l’énergie d’un engagement quelconque dans tout ce qui se trame pour
leur transformation. Je laisse filer en me disant que la retraite n’est plus si
loin. Ce comportement du type « après moi le déluge » m’est
profondément antipathique, il me fait mal, mais je ne parviens pas à en avoir
un autre et depuis pas mal de temps déjà.
Quand j’ai quitté le bureau,
le soir déjà tombait, le soleil qui avait percé dans la journée, s’était éteint
et de nouveau c’était cette froidure grise, et mon retour, après une journée
vide, n’était pas plus gai que mon aller…