Un livre que je n'aime pas
J’avance laborieusement dans
la lecture de « Train de nuit pour Lisbonne » de Pascal Mercier.
Je n’accroche pas sur ce
bouquin que pourtant beaucoup ont apprécié. Ça m’ennuie de dire ça, parce que
c’est un livre estimable, écrit avec soin, dont le sujet est intéressant et qui
regorge d’idées ou de formules qui font penser. Mais ça ne passe pas et
j’essaie de voir ici pourquoi.
Le récit est l’histoire de
Raimund Grégorius un professeur suisse de lettres anciennes, un homme
exclusivement, caricaturalement, homme de tête et homme de livres (« celui
que ses collègues haineux appelaient papyrus parce qu’il avait plus vécu dans
les vieux livres que dans la vie ») qui ressent après une rencontre
mystérieuse un appel irrésistible vers une autre vie. Pour y répondre il
abandonne brutalement ses étudiants, ses collègues, ses livres, bref tout ce
qui faisait sa vie et se rend à Lisbonne à la poursuite de Prado, un médecin et
écrivain portugais mort depuis longtemps. Il mène son enquête en rencontrant
des personnes qui ont connu Prado et en méditant à partir d’extraits de son
œuvre. Il fait ainsi progressivement sortir des limbes un personnage qui lui
apparaît comme une sorte de maître qui lui serait destiné, et comme une image
de ce qui aurait pu être une potentialité de sa propre vie.
J’ai l’impression que le
récit suit un schéma trop simple et c’est ça qui m’ennuie. On assiste à une
sorte de voyage initiatique sans véritable surprise. Bien sûr chaque nouvelle
rencontre fait découvrir des aspects insoupçonnés de Prado mais on sait qu’il
va en être ainsi de rencontre en rencontre.
Quant à Grégorius beaucoup
de ses caractéristiques sont un peu caricaturales et les effets de l’initiation
paraissent téléphonés : ainsi portait-il de grosses lunettes inélégantes,
à peine arrivé à Lisbonne, il rencontre une opticienne qui lui fournit de
nouvelles lunettes légères qui modifient sa physionomie, il portait des
« nippes usées et déformées », le voici poussé par on ne sait quelle
impulsion à aller se choisir un joli costume dans un magasin.
Le récit apparaît donc comme
trop démonstratif. Est-ce parce que c’est un livre de philosophe et pas un
livre d’écrivain, qu’il est construit à partir d’une idée et pas à partir du
chatoiement de la vie ?
Je tiens à le terminer
pourtant. J’aurais des scrupules à ne pas aller au bout, à la fois par respect
pour le travail de l’auteur et parce que j’espère toujours que finalement les
choses vont se mettre en place et que je vais finir par pouvoir dire :
« quand même c’est rudement bien ». Mais là , au point où j’en suis,
à plus de la moitié du pavé j’ai vraiment des doutes.
J’ai vu cet après-midi
« Villa Amalia ». c’est aussi l’histoire de quelqu'un qui sort de sa
vie, d’une façon différente mais encore plus radicale que Gregorius. J’avais
bien aimé le livre de Quignard, le film de Jacquot m’a impressionné même s’il
n’est pas très facile d’y entrer, notamment pendant toute la première partie.
Huppert est étonnante, par la variété et l’incarnation de son jeu, par les
métamorphoses de son corps et de son visage. Par moments elle paraît juvénile,
à d’autres elle fait presque vieille femme, c’est très troublant. Pour le
spectateur qui se laisse prendre, tout passe par l’émotion, pas par
l’intellect, et l’émotion surgit des sensations que provoquent les visages, les
images, le sons.
Ce dont parle de façon un
peu trop démonstrative Pascal Mercier à travers son personnage de Gregorius, la
tentative de chercher l’autre en soi, de déployer les autres sois que chacun
porte en lui même, les vies rêvées et non vécues, n’est ce pas au fond le sujet
de beaucoup d’œuvres de fiction, pour ne pas dire de toutes.
En tout cas, puisque je m’en
vais en voyage je mets ce bouquin dans mes bagages, je le finis et reviens vous
dire mon impression finale si jamais elle devait changer. Pour l’instant je
m’efface et m’en vais profiter moi aussi de quelques jours d’ailleurs, mais
d’une façon toute pépère, en chambre d’hôtes et chez le fiston.