Mementos
Un film vu, un livre lu, une
scènette de la vie courante, un sentiment qui me traverse et surgit l’envie de
le fixer, l’envie de l’écrire. Ça a quelque chose du réflexe pavlovien. C’est
un pli d’esprit que j’ai pris à force de tenir journal et qui n’est pas sans
effet pervers.
Car entre avoir l’envie et
fixer ce que l’on a vu, ressenti, pensé, l’exprimer clairement il y a un fossé,
celui du travail à accomplir, du temps à prendre pour produire les mots, pour
les organiser. Je me retrouve parfois avec trois/quatre billets potentiels en
me disant : ah oui, de ceci ou de cela, je voudrais vraiment parler. Et
c’est comme Sisyphe. Car à peine un billet est-il écrit que d’autres se
pressent au portillon.
Car la vie continue.
Heureusement d’ailleurs. Je ne vais tout de même pas suspendre ma vie et
attendre d’être à jour de mes écritures pour accomplir quelque chose qui risque
d’ouvrir sur l’envie d’un nouveau billet…
Ce serait la perversité
même, ce serait écrire à la place du vivre, déjà qu’assez souvent je me dis
qu’il y a un peu de cela à l’œuvre en moi.
Donc, comme je l’ai souvent
dit je me défie de la tentation de l’impossible exhaustivité mais non sans
frustration et parfois je me dis que pour attraper ce quotidien qui passe sans
passer ma vie à lui courir après, je pourrais ouvrir autre chose, comme un
calendrier avec notes lapidaires au jour le jour, comme un contrepoint aux
notes écrites et développées, une sorte de mémento pour moi-même, juste pour me
souvenir, garder trace aussi minime soit-elle…
Je verrai…
Mais dans l’immédiat et en attendant de me construire peut-être un dispositif de ce type j’ai eu envie de donner un peu pêle-mêle quelques uns de ces mémentos pour ce premier trimestre de la neuvième année du nouveau siècle, qui déjà, déjà, s’est achevé…
Films vus :
« Les Noces
rebelles » : Bien, beau produit de qualité Hollywood, acteurs
excellents, histoire émouvante ;
« Valse avec
Bachir » : Moyen, trop porté peut-être par sa critique enthousiaste,
mais moi je n’ai pas vraiment accroché, je reconnais que c’est poignant mais
j’ai ressenti un certain ennui face aux modes de narration, aux allées et
retour passé/présent que je ne trouve pas si bien maîtrisés que ça ;
« Bellamy » :
Bien. Un Chabrol bien supérieur aux derniers opus, plus intérieur, magnifique
interprétation, de Depardieu mais pas seulement de lui. Dimension
supplémentaire : comment Depardieu a-t-il pu jouer ce rôle, avec ce demi
frère chaotique et autodestructeur qui devait tellement lui rappeler son propre
fils Guillaume
« Un Barrrage contre le
Pacifique » : Bien. Cela dit, juste après, j’ai eu envie de relire le
livre de Duras : beaucoup plus fort, plus cohérent et plus explicite
aussi ; là dessus aussi j’ai eu envie d’écrire, sur ma perception croisée
de l’œuvre filmée et du livre et je ne l’ai pas fait ;
« Picnic » :
Bien, passé l’agacement d’une façon de filmer à l’épaule fatigante, sensualité
douce, lumière intérieure de la prostituée candide et au grand cœur ;
« Che 1° partie,
l’Argentin » : moyen, pas inoubliable, un peu long. Tout de même
j’aurais aimé voir dans la foulée le second film pour voir ce qui se
construisait du contraste des ambiances ;
« L’étrange histoire de
Benjamin Button » : Bien, même excellent notamment au début, là aussi
une belle machine hollywoodienne. J’ai lu derrière la nouvelle de Fitzgerald au
climat assez différent, plus léger. J’ai repensé surtout à un court récit
d’Elsa Triolet lu alors que j’étais encore enfant et qui m’avait fasciné, me
donnant pour la première fois il me semble l’idée de l’irrémédiable du temps
qui passe. J’ai envie de retrouver ce texte et là vraiment ça mériterait un
vrai billet ;
« Espions » :
Bien ; divertissement agréable, thriller très bien fichu mais qui dépasse
le thriller, richesse psychologique du rapport entre les personnages ;
« Je te
mangerais » : Bien, décrit avec conviction et grâce à des actrices
formidables ce que peut être une vampirisation amoureuse. Isild le Besco et
Judith Davis, excellentes toutes les deux, cette façon de porter avec tout leur
corps, ce contraste formidable de leur personnalité, de leur façon d’être au
monde.
On le voit, je suis plutôt
bon public, c’est rare les films que je trouve franchement mauvais. Enfin il
faut dire que je ne vois pas n’importe quoi non plus.
Spectacle musical et théâtral : « Le Jazz et la Diva » : Formidable. La confrontation complicité entre Didier Lockwood, issu du monde du jazz et sa compagne Caroline Casadesus, issu d’une grande dynastie de musiciens classiques, ainsi qu’avec les deux garçons que celle-ci a eu de son premier mariage donne un spectacle formidable. Bonheur communicatif de voir des gens jouer ensemble, mêler leur culture, hymne au métissage ici musical et hymne aux familles recomposées. Et comme chaque fois je me fais la remarque : « bon sang je ne vais pas assez au théâtre, le spectacle vivant, c’est autre chose que le cinéma ».
Expositions :
« L’art de Lee
Miller » : une grande photographe dans sa vie, et, du coup me revient
en réminiscence une expo photo encore plus riche et forte, vue en 2008 et sur
laquelle j’aurais vraiment eu envie d’écrire, Annie Leibovicz
« Prévert » :
vu trop vite et dans trop de foule : il aurait fallu pouvoir se poser
longuement, s’imbiber des extraits de films, revenir aux images, aux affiches,
aux collages. Mais quelle richesse !
« Picasso et les
maîtres » : Somptueux. Passionnant. Moi qui adore les jeux d’échos
j’étais servi. J’ai été particulièrement fasciné par les premières sections
autour des portraits et autoportraits. En plus c’était une performance de voir
cette expo sans trop de monde, la carte Sésame ne vole pas son nom en
permettant outre le coupe fil un accès dès 9 heures avant l’ouverture normale.
« L’avant garde russe
dans la collection Costakis » : Décevant. Froid. Pas d’émotion.
Intéressant sans doute pour un historien de l’art mais rien là-dedans ne m’a
parlé.
« Séraphine de
Senlis » : Hum… Pas mal. Joli. Mais n’y a-t-il pas après le film une
surévaluation aussi excessive dans l’autre sens que le total oubli qui avait
prévalu auparavant ?
« Fred Deux et Cécile Reims » : superbe, l’un et l’autre dans leur aventure artistique commune et dans la grande différence de leur travail. Découverte en plus de cette Halle Saint Pierre que je ne connaissais pas : un beau lieu. En plus pour moi, l’enraciné de la rive gauche, c’est comme un voyage ce lointain 18°, le quartier Barbès, la promenade sur les pentes de la Butte Montmartre qui nous avons fait ensuite.
Voilà ce qu’il en est de ce
que j’ai vu mais il me faudrait noter aussi ce que j’ai lu sans que ça ne donne
lieu à un billet :
« Les
Déferlantes » de Claudie Gallay, un sacré pavé mais qui s’avale très bien,
excellente capacité à faire ressentir une ambiance et aussi à décrire un lieu
que d’ailleurs je connais un peu et cela rajoutait encore de l’intérêt à ma
lecture. J’avais commencé une note sur ce très bon livre mais elle est restée
en plan.
« De loin on dirait une
île » d’Eric Holder, évocation d’une installation dans le Médoc, là je
connais même très bien les lieux évoqués, c’est exactement le coin où vit
Baladine ma très ancienne amie de la forêt. Ce livre trouble, comme souvent ce
qui est autofictionnel parce qu’on ne peut s’empêcher de tenter de mettre la
ligne entre la part autobiographique et la part fictionnelle.
« Mendiants et
orgueilleux » d’Albert Cossery, ça m’a franchement déçu, je ne suis pas du
tout rentré dans les personnages, j’ai le sentiment d’ailleurs d’en avoir déjà
tout oublié.
D’autres livres aussi, de
petites choses, dont je ne me souviens même plus…
Ça en fait, tout ça, des
billets auxquels vous avez échappé !