L'horreur, le matin...
Hier matin je me suis
réveillé sur un des plus terribles cauchemars qu’il me soit arrivé de faire…
Je ne me suis pas réveillé
en sursaut sur une image horrible, facile à décrire, facile à délimiter et plus
facile du coup à renvoyer dans les limbes de la nuit. Non, je suis resté
longuement dans une phase de demi sommeil, j’ai émergé petit à petit, il n’y a
pas eu de cassure nette entre rêve et non rêve. J’étais là, sur mon lit,
oppressé, en sueur, regardant le velux au-dessus de moi avant de commencer à me
dire : ah, mais c’était un rêve. Il ne m’est même pas sorti ce ouf de
soulagement que l’on prononce d’habitude lorsqu’on réalise que ce qu’on croyait
vivre n’était qu’un mauvais rêve de la nuit.
Les évènements du cauchemar,
ses images me sont inatteignables, j’ai eu l’impression d’un très long déroulé
dont je n’ai gardé que le final. J’ai essayé au réveil de prendre mon carnet à
côté de mon lit, de noter des choses pour tenter de remonter vers des éléments
précis du rêve mais sans y parvenir. Et je me demandais d’ailleurs s’il fallait
le faire, ou bien s’ébrouer, se lever, aller boire un verre d’eau, s’efforcer
donc de le chasser plutôt que de le retrouver malgré la curiosité que j’en
avais.
En très gros, il me semble
que j’avais fait quelquechose d’horrible, tuer un enfant ou laisser tuer un
enfant. Était-ce l’un des miens, ça je ne parviens plus à le savoir, mais c’est
bien possible. J’étais dans une maison, effondré, j’entendais des gens, toutes
sortes de gens, des proches comme des inconnus, parler de moi, sans que je les
vois, sans qu’ils me voient, ils découvraient ce que j’avais fait, j’entendais
leur stupéfaction devant un acte qui me ressemblait si peu, totalement à
l’opposé de l’image qu’ils avaient de moi, je n’étais pas celui qu’on croyait,
c’était comme Docteur Jekyll et Mister Hyde, ils découvraient dans mes actes
mais aussi dans mon journal intime dont ils lisaient des pages des signes du
trouble de ma personnalité qui avaient échappé à tous, à eux comme à moi, et
moi j’étais là, prostré, immobile, entendant leur discours et découvrant
moi-même avec horreur et en même temps qu’eux que je n’étais pas celui que je
croyais.
Parmi ces gens qui étaient
là, innombrables, il y avait aussi mon père il me semble et une femme surtout
et qui était tantôt ma mère, tantôt ma femme et moi j’étais tantôt moi enfant
et tantôt moi adulte (à moins que ce ne fut en même temps ?). Était-ce
sous le regard de ma mère pour le moi enfant et sous le regard de ma femme pour
le moi adulte ? C’est l’impression que j’ai, mais c’est sans doute trop
simple, ça ressemble trop à une rationalisation du réveil.
J’étais dans une sorte de
catalepsie, incapable de bouger, de parler, je ne faisais que subir ces
défilements de parole, en pensant à la fois : il n’y a plus rien à faire,
il n’y a plus qu’à se laisser mourir, et en même temps : il faudrait
qu’ils fassent quelquechose, qu’ils fassent irruption, qu’ils cassent ce cocon
dans lequel je suis paralysé, qu’ils aillent chercher des flics, qu’ils me
confient à un psy, mais qu’ils me sortent de là, qu’ils me sortent de là, que
s’arrête cette litanie qui n’en finit pas, que s’arrête cette douleur de ne pas
cesser de découvrir ma propre horreur.
Je n’ai pas écrit cette note
sur le moment ou peu après mon lever. J’aime le faire d’habitude, j’y prends un
certain plaisir même si ce sont des rêves cauchemardeux, parce que la
satisfaction de la découverte surpasse le désagrément de ce que je remue. Là
c’était trop oppressant. J’ai juste noté quelques phrases et j’ai ressenti très
vite que je ne parviendrai pas à tirer les fils, que c’était trop douloureux et
qu’il valait mieux que je me lève. Ce n’est qu’aujourd'hui, mardi soir, le
lendemain soir, que je le tente de fixer quelquechose de ce rêve mais sans bien
sûr pouvoir en faire vraiment récit, l’essentiel m’en a échappé.