"La ballade de l'impossible"
J’ai terminé il y a quelque
temps déjà ce livre de Murakami. Je voulais le chroniquer depuis plusieurs
jours mais le temps passe, passe…
J’ai beaucoup aimé. J’ai été
moins profondément touché et séduit cependant que par « Au sud de la frontière,
à l’ouest du soleil » qui m’avait enthousiasmé. Peut-être est-ce
simplement parce que cette fois n’a pas joué l’aspect découverte d’un style,
d’un ton, d’un univers qui sont en fait très proches dans les deux livres.
On retrouve des rapports au
monde analogues entre les narrateurs des deux romans, lesquels ont sans doute
quelque chose à voir avec l’auteur. Il s’agit de jeunes hommes qui sont
intégrés dans le monde social mais qui vivent néanmoins dans une sorte de
distance qui les met à part. En eux vibrent plus que ce que le présent leur
apporte la présence nostalgique du passé, d’amours d’enfance ou d’adolescence à
demi accomplis mais qui traversent le temps. Ces amours sont partagés et
lumineux mais quelque chose qui dépasse la volonté même des protagonistes les
rend impossibles. Les femmes aimées, restent impénétrables, mystérieuses,
inaccessibles.
Ici après que le narrateur
ait enfin fait l’amour avec Naoko, son amie de longue date, celle-ci disparaît
brusquement et sans explication, laissant le jeune homme avec « une
caverne dans le cœur ». Cet amour en absence reste en lui, intense,
absolu, il polarise toute sa vie, il est à la fois son souvenir précieux et
l’horizon de son espérance. Il rencontre d’autres femmes, Midori, Reiko, aux
personnalité très différentes et dont les histoires de vie peu banales
s’enchâssent dans le récit principal. Mais avec toutes reste une irrémédiable
distance, comme un plafond de verre, qui est sans doute au cœur du narrateur
lui-même, comme un signe de l’incommunicabilité radicale entre les êtres, les
mieux disposés, les plus amoureux qu’ils soient.
Il y a dans ce livre les
mêmes bonheurs d’écriture que dans « Au sud… », une musique, des
images, des scènes qui nous emmènent très loin. Une mélancolie douce et
prégnante baigne l’ensemble du récit et nous projette loin de notre quotidien,
vers nos propres souvenirs, vers nos propres rêves inaccomplis.
Le sommet du livre est
constitué par les chapitres 6 et 7 au cours duquel le narrateur se rend dans
une étrange maison de santé, perdue dans la montagne ou Naoko s’est réfugiée
pour tenter d’apaiser ses démons. C’est un monde clos, paisible, à la fois très
concret et précis mais qui semble aussi comme rêvé, un monde qui serait celui
de l’amour possible. Le narrateur lit « La Montagne Magique » de
Thomas Mann pendant son voyage, ce qui est tout sauf un hasard, j’y ai retrouvé
en effet comme un écho assourdi de ma lecture de ce maître livre, il y a bien
des années.
Je suis curieux de lire un
autre roman de Murakami. Je voudrais m’assurer que sa palette et son imaginaire
le conduisent sur d’autres territoires, qu’il n’écrit pas toujours le même
livre. A moins qu’il ne faille considérer, si l’on va y regarder de près, que
tout auteur écrit toujours au final à peu près le même livre !