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Les échos de Valclair
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7 décembre 2009

"Vincere"

J’ai repris un peu plus activement ces derniers temps le chemin des salles obscures. J’ai bien aimé dans l’ensemble les films que j’ai vu ces derniers temps aussi différents soient-ils : « Les vies de Pipa Lee », « Le ruban blanc », « Hadewijch ». J’ai certaines réserves pour chacun d’entre eux mais tous apportent quelque chose et enrichissent. En sortant j’ai toujours des ressentis, des idées qui se pressent et que je voudrais prendre le temps de mettre en mots pour mieux les conserver pour moi-même et aussi pour pouvoir les partager avec vous. Je le fais rarement, à la fois par flemme de m’y mettre et par manque de temps et je laisse les impressions vives s’éloigner…

Mais je veux parler tout de même du Vincere de Bellochio que j’ai vu samedi car c’est un film qui sort de l’ordinaire, un grand film, d’une force rare, d’une grande richesse thématique, d’une constante inventivité formelle.

Ce qui frappe dans ce film c’est sa puissance, on est confronté à un torrent d’images et de musiques, d’évènements de l’histoire et de drames intimes, saisis dans l’urgence de leur mouvement, accordé au temps précipité de l’histoire dans une de ses phases tragiques.

Les situations comme les personnages sont stylisés, de façon parfois presque expressionniste. Ils expriment certainement plus qu’eux-mêmes. On est ici aux antipodes d’un cinéma de l’intime. Les références qui viennent à l’esprit seraient plutôt celles de l’opéra ou de certaines grandes machines de l’histoire du début du cinéma, j’ai pensé par exemple à Eiseinstein ou au Métropolis de Lang (le cinéma d’ailleurs tient une grande place sous forme de films dans le film, que ce soit les bandes d’actualité ou des films de cinéastes qui sont une autre façon de montrer l’époque).

Le film fait admirablement ressentir un climat historique et réfléchir sur nombre de questions, que ce soit celle de la montée du fascisme en Italie, ou plus largement des totalitarismes et de leur liens avec la psychologie individuelle (on pense aux thèses de Reich), sur la psychopathologie du pouvoir absolu, sur la complicité des notables et de l’église avec le fascisme, sur la façon dont les individus peuvent être broyés par la machine de l’histoire, sur la folie et sur l’univers asilaire. De ce point de vue ce film est sûrement un excellent support pour des cours d’histoire même s’il n’est pas par lui-même (heureusement !) un cours d’histoire.

Les deux acteurs principaux sont excellents. Il faut voir l’œil du jeune Mussolini quand il fait l’amour à Ida, (non, il faudrait dire, quand il la baise, il n’y a pas tellement d’amour là-dedans, de présence vraie à la personne avec qui l’on est). cet œil qui s’évade, ce regard qui file au loin dans son obsession de puissance et de domination. Il faut voir le bouleversant défilé des émotions les plus diverses et les plus contradictoires sur le visage d’Ida filmée frontalement et en plan rapproché pendant la superbe scène de l’interrogatoire. Elle a tout compris bien sûr et sait sa situation désespérée, elle se débat dans son impuissance et passent alors dans ses yeux, son amour, sa folie, la douleur de sa vie gâchée, sa révolte, sa rage, son désespoir.

L’image est la plupart du temps dans la pénombre à l’exception de quelques rares plans très lumineux, c’en est presque pénible, mais en même temps ça s’accorde parfaitement avec le climat général du film.

L’idée d’articuler les plans réalisés avec les acteurs et les bandes d’actualité est excellente et intègre vraiment le film dans l’histoire réelle. On comprend beaucoup de choses à voir le vrai Mussolini s’adresser aux foules. Je savais bien ce qu’exprimait de la pathologie de leurs auteurs les grands envolées oratoires des dictateurs mais à les voir ainsi c’est impressionnant. Et ici en percevoir les signes avant-coureurs dans Mussolini jeune au travers de l’acteur, en retrouver ensuite le redoublement dans le jeu du même acteur jouant Mussolini fils singeant son père est assez extraordinaire.

On peut juger ce film un peu lourd et pompeux, les effets trop appuyés, la stylisation et la symbolisation excessive. C’est vrai d’une certaine façon mais comme ça peut l’être dans un opéra, ou sur un terrain différent, dans une tragédie antique. On peut aussi trouver que les personnages « manquent d’épaisseur » comme l’écrit par exemple Dasola, y compris Ida Dalser, celle qui pourrait susciter notre compassion, notre envie d’empathie. C’est exact mais à mon point de vue ce n’est pas important. Car on n’est pas ici devant un film psychologique cherchant à cerner les nuances d’un personnage, Ida Dalser est résumée à ce qui est son trait dominant, sa passion pathologique et son destin de femme écrasée par l’histoire.

En tout cas je trouve moi que ce film aurait mérité de recevoir un trophée à Cannes. On peut l’aimer plus ou moins, accepter plus ou moins de rentrer dans ses conventions, on ne peut lui denier le fait d’être un « grand » film, d’être un film important.

Vincere

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Commentaires
D
Bonjour Valclair, bravo pour ce billet argumenté. J'espère que tu va drainer encore plus de spectateurs (le film rencontre un certain succès). Quand je te lis, je revois les scènes qui m'ont plu: le fils singeant son père et Ida face à ses bourreaux lors de l'interrogatoire pendant lequel son destin est scellé ou quand le petit Benito fait tomber le buste de son père et la première séquence quand Benito met Dieu au défi. Cela n'empêche pas que le film ne m'a pas touchée et on ne comprend pas l'attitude de Benito : avoir rejetée Ida. En quoi, elle était "dangereuse" pour lui à part le fait qu'elle ait eu un enfant hors mariage? Elle rêvait de grandeur pour son fils, c'est normal, c'est une mère. En revanche, j'aurais bien aimé voir un portrait de la vraie Ida. Etait-elle aussi jolie que Giovanna Mezzogiorno? Et bien sûr, merci pour le lien sur mon billet. Bonne journée.
Les échos de Valclair
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