Coup de cafard
Mauvais réveil ce matin…
Est-ce que j’écris, est-ce
que ça va me faire du bien ? Ou est-ce qu’il vaudrait mieux que j’aille
arracher des mauvaises herbes dans le jardin tant qu’il fait frais ?
Tout se mêle…
Hier je suis rentré mal à
l’aise de mon passage au cyber café. J’ai diagonalisé à toute vitesse sur
quelques uns de mes blogs favoris mais sans prendre le temps de m’y arrêter, je
n’ai pas non plus envoyé les mails plus personnels auxquels pourtant je
pensais. Je me suis senti dans un entre deux désagréable de présence/absence en
ligne et à mon cybermonde. Je ne suis pas content non plus du billet que j’ai
déposé. Impression que je n’ai pas écrit par plaisir et pas non plus par besoin
intrinsèque (comme c’est le cas par exemple ce matin). J’ai écrit pour ne pas
perdre le fil de ma présence en ligne. Sans doute voulais-je écrire surtout une
sorte de lettre collective à destination du petit nombre de celles/ceux avec
lesquels je suis en relation plus particulière, à qui je donne ainsi de mes
nouvelles. Mais pour les autres quel intérêt à ce billet qui n’est ni un
croquis de paysage ou de vie extérieure, ni une impression de lecture ou le
compte rendu d’une admiration, ni un ressenti ou un questionnement plus intime
mais dont le partage fait sens parce qu’il peut faire écho chez d’autres ?
Les difficultés à tenir la ligne de crête entre écriture pour soi, écriture
pour les cyber-proches, écriture pour le lecteur lambda, ne sont pas neuves.
Parfois je m’en amuse et ai plaisir au jeu subtil qu’imposent à mes mots les
destinataires multiples. Parfois la gageure me semble intenable, c’est alors
que je me dis « à quoi bon » et c’est cet « à quoi bon »
qui m’a violemment cueilli au matin.
Le soir nous avions invité
ma cousine à dîner dans le studio que nous occupons au rez-de-chaussée de la
maison et qui en est pour le moment la seule partie habitable. Elle souhaitait
profiter avec nous ensuite du feu d’artifice. En montant dans les étages, des
fenêtres donnant sur la place, nous sommes en effet aux premières loges pour
assister à l’embrasement du beffroi et du feu d’artifice. La soirée a été
languissante, occupée de discussions où revenaient des anecdotes familiales
mille fois racontées, sur un temps d’avant nous ou sur le temps où nous étions
enfants, sur des gens qui étaient jeunes et qui étaient vivants et qui ont été
vieux et qui sont morts. Le tout agrémenté des inévitables considérations sur
« c’était mieux avant », sur le monde qui, soi-disant, alors tournait
plus rond, quand les gens savaient ce que travailler voulait dire et qu’il n’y
avait pas cette insécurité quotidienne qui atteint même les petites villes.
Tout ça m’a exaspéré. Une soirée de vieux, de vieux dans nos têtes. J’avais
envie de m’enfuir et ça s’éternisait ! Nous avons raccompagné à pied ma
cousine chez elle. Il y avait la fête sur la place, la fête toute simple et bon
enfant, le baloche du 14 juillet, les gens étaient juste heureux d’être là, profitant
du mouvement, de l’air adouci de la nuit. Nous y sommes restés un moment. Comme
toujours et plus que jamais j’y étais avec mon regard distant, avec mon incapacité
à me sentir présent, mon incapacité, de tout temps, dans les fêtes, à me sentir
dedans !
C’est en ouvrant les volets
ce matin qu’une vague d’angoisse m’a envahie au passage des nettoyeuses, à voir
la place vide, morne, déserte, en pensant à cette vie, à ce mouvement de la
veille déjà absorbé, annihilé par le temps, par le jour nouveau qui se lève,
qui devrait être promesse et qui ne saute au visage que comme le rappel qu’un
jour simplement est passé qui ne reviendra pas…
Je suis trop souvent rappelé
ces temps derniers à l’idée du vieillissement. Divers petits changements
physiques dans divers registres et qui pris séparément me paraissaient anodins
jusque là se mettent par leur inévitable accentuation et quand je les saisis
dans leur concomitance, à dessiner quelquechose qui est un autre moi, un moi
dans lequel je ne me reconnais pas. Je me rêvais entrant serein dans un nouvel
âge. C’est bien plus dur que ça, et toutes les sagesses dont on voudrait
s’imprégner sont impuissantes face aux angoisses quand elle vous saisissent.
A ces symptômes, et bien
plus importants qu’eux, quoique dictés par eux peut-être, s’ajoute ce qui se
passe dans la tête, mes trop fréquentes pertes d’énergie, la perte des envies,
la perte des désirs, ces matins trop nombreux où je m’éveille sans appétence,
sans gourmandise pour la journée qui s’ouvre.
Y a-t-il un cap à passer
pour entrer dans cette sérénité ? Ou bien est-elle naturelle pour certains,
doués pour le bonheur, et impossible pour d’autres qui traîneront toujours
leurs éternels questionnements existentiels, qui les verront s’aggraver au
contraire lorsque surviennent les premières atteintes vraiment sensibles de
l’âge. Remonte alors vers moi la figure de ma mère, qui n’a jamais été en paix
avec elle même. Je pense à mon père aussi bien sûr qui en est comme l’exacte
antithèse, toujours battant, toujours allant, qui sait croquer à pleine dents dans
ce que lui offre la vie, qui sait profiter d’une belle vieillesse à l’écart des
soucis matériels ou de santé jusqu’à ce jour. Je voudrais écarter les atavismes
maternels, je crois le faire dans la mesure où, du moins dans l’image que je
donne à l’extérieur, mes réactions sont plus proches de celles de mon père que
des jérémiades continuelles de ma mère qui ne pouvait s’empêcher de se pourrir
la vie en se plaignant sans cesse. Et pourtant, pourtant, dans ce que je
ressens en profondeur, quoique je dise, quoi que je fasse, est-ce qu’ils ne me
tiennent pas dans leurs rets, ces atavismes maléfiques, est-ce qu’ils ne sont
pas mon ultime vérité ?
C’est le point nodal de ma
panique et son acmé. J’essaie de me secouer, d’écarter toutes ses ombres. Là je
me sens envahi, débordé, vite, que je bouge pour noyer tout ça dans le flux de
la vie !
L’activité a repris dans la
maison, des ouvriers de nouveau sont au travail, ça bouge, ça vit, je vais vite
aller voir, parler avec eux, regarder ce qui doit se faire aujourd'hui. Je me
rends compte à quel point aussi tous ces projets autour de la rénovation de la
maison m’ont porté et me portent depuis plus d’un an maintenant, au point de
craindre le moment, pourtant si attendu, où nous en aurons enfin fini.