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Les échos de Valclair
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24 décembre 2008

intime, extime; privé, public

Pierre s’est lancé ces derniers jours dans une réflexion à épisodes autour de l’intime, du privé et du public et de la façon, évolutive dans le temps, qu’il a eu de gérer ces questions dans sa propre écriture.

J’avais commencé à gribouiller des choses en commentaire chez lui et puis vu l’ampleur que prenait ma réponse je ne l’ai pas envoyé, j’ai basculé mes mots dans mon traitement de texte et je les ai repris de façon plus construite pour aboutir à ce billet qui est loin cependant d’épuiser le sujet.

Je me rends compte d’abord qu’il est très important de bien définir ce dont on parle, ce que l’on met derrière les mots que l’on emploie. Pierre le fait, lire ses définitions m’a intéressé, j’ai eu le sentiment que je ne mettais pas exactement les mêmes choses sans trop savoir ce que je mettais justement, ça m’a donc obligé à réfléchir.

De façon très simple je dirai que l’intime est ce qui m’est le plus intérieur, mes sentiments profonds, ma vie relationnelle, mes questionnements existentiels. Ce qui est considéré comme intime varie selon les cultures et selon les époques. Dans cette acception l’intime s’oppose plutôt à l’extime, à des considérations plus extérieures, m’impliquant certes mais moins profondément, un compte-rendu de lecture par exemple ou des considérations sociales ou politiques.

Ce qu’on fait de cet intime alors, dans un contexte culturel donné, dépend de chacun de nous, des limites que l’on se donne, qui dépendent de notre propre histoire, de notre évolution. Ainsi on peut choisir de garder l’intime intérieur (dans notre for privé) ou choisir d’en révéler une partie à autrui dans les cercles proches du dialogue de personne à personne ou dans les cercles plus éloignés d’un partage public plus ou moins large. Je décide en tenant compte de diverses considérations de la part d’intime que je veux rendre publique. Concrètement pour moi qui écrit mon journal dans un fichier word depuis de longues années ça se traduit par le fait de décider chaque fois si je mets en ligne ou pas tel ou tel billet. Enfin ce n’est plus tout à fait ça non plus. J’écris la plupart de mes billets dans la perspective de les publier, donc je tiens en compte en les rédigeant du fait qu’ils vont être lus, à l’exception de certains dont je prévois d’emblée qu’ils resteront dans les profondeurs privées du disque de mon ordinateur. Le privé c’est donc la part que je retiens, le public c’est la part que je donne en partage.

J’aboutis ainsi plutôt qu’à la trilogie intime, privé, public à deux couples de polarités, intime/extime et privé/public et tout mon réglage de blogueur va consister à savoir à chaque moment où je fais passer les lignes. Je peux mettre du très profondément intime dans une analyse de livre à cause d’un écho tout particulier qu’il aura en moi, je peux dire publiquement certaines choses très intimes sous des formes très allusives qui les laisseront dans une pénombre plus ou moins profonde, en tout cas pour la plus grande partie des lecteurs.

Tant que tout ça ne concerne que moi, j’ai toute liberté d’étaler ou pas mes interrogations profondes, mes états d’âme ou mes névroses. Est-ce qu’il le faut ou plutôt jusqu’où est ce qu’il le faut ? C’est une vraie question. Il y a des aspects incontestablement positifs : le partage est source de discussions intéressantes, il permet de réaliser que d’autres que nous partagent de mêmes interrogations ou de mêmes difficultés, accepter d’être soi aux yeux d’autrui c’est profondément s’accepter soi-même, contribuer à se réunifier. Mais l’expression exacerbée de l’intime peut avoir des effets pervers aussi : entretenir le ressassement, se complaire dans un récit de soi qui peut faire écran à l’action, se substituer à elle, s’imaginer que l’on avance alors qu’on tourne en rond.

C’est à moi de fixer mes limites, en ayant réfléchi aux conséquences possibles, à d’éventuels retours de bâton, à la façon dont je les supporterais. Il n’y a pas vraiment de problème tant que le lectorat est un ensemble indistinct, une pure abstraction anonyme comme il l’était pour moi quand j’ai commencé à écrire en ligne. Les choses deviennent plus compliquées à mesure que le lectorat s’amplifie, se diversifie surtout, incluant peu à peu des personnes avec lesquelles des interactions se sont nouées et d’autant plus lorsque ses interactions conduisent à des rencontres réelles. La sortie de l’anonymat ou même son délitement partiel accentue la difficulté puisque à partir de ce moment peuvent aboutir sur mes mots des gens qui me connaissent dans de tous autres cadres, arrivés là par simple hasard ou, ce qui serait plus ennuyeux, par curiosité malsaine voire mal intentionnée.

Il faut savoir alors si on est capable de supporter sans souffrir les effets qui pourraient en résulter, que ce soit des commentaires en ligne malveillants, la circulation de bruits dans les réseaux souterrains du net (si, si on a déjà vu ça !) ou encore le regard muet mais vaguement condescendant d’une relation éloignée dont on devinerait qu’elle a parcouru certaines de nos pages.

Personnellement je crois que de ce point de vue là j’ai le cuir épais, ou plutôt qu’il l’est devenu grâce justement à la pratique d’internet, à cette progressive habituation à être moi-même sous le regard des autres, je ne crois pas risquer trop d’être atteint par ce que les autres peuvent penser ou dire de moi sauf bien sûr si ce sont des personnes qui m’importent affectivement.

C’est en fonction de ça qu’on peut éventuellement juger « immatures » la façon d’écrire de certains (de certaines !) puisque c’est ainsi que ça a été posé dans certains commentaires chez Pierre. Ecrire « immature » ce ne serait pas le fait de trop en dire, d’écrire trop directement dans l’expression des ressentis immédiats à fleur de peau, à fleur de coeur, ce serait éventuellement de ne pas avoir mesuré les conséquences pour soi-même, le risque d’avoir à en souffrir. Mais si on a mesuré ce risque, si on l’assume en toute conscience, alors on ne peut parler d’immaturité. (Et d’ailleurs « l’immaturité » est-elle toujours mauvaise, est-ce qu’il n’est pas bon dans certains cas non seulement d’approcher les limites mais même de se casser le nez dessus, les tensions qui en résultent, passé un moment difficile, peuvent être positives, mais ce serait un autre débat.)

Mais tout ça n’est valable que lorsqu’on parle essentiellement de soi ou de ses relations sur un mode général, abstrait, à peu près désincarné. Ça se complique sérieusement lorsque des autruis précis entrent dans la partie.

C’est spécialement vrai lorsque les autruis en question sont eux-mêmes mêlés au réseaux relationnels qui se sont constitués sur internet mais c’est vrai aussi dans le cas contraire. Là on ne peut plus se permettre d’être « effrontément désinvoltes avec les confidences ». Il faut être de la plus grande prudence ou plus exactement du plus grand respect de l’intimité d’autrui. Et pas seulement de ce que je crois être l’intimité d’autrui mais ce que lui-même va considérer comme son intimité avec une vision peut être très différente, plus restrictive que la mienne. Ça c’est un point je crois que je n’ai pas assez creusé, et pas mis en pratique en tout cas. Pierre le dit très bien : le respect ce n’est pas seulement ce que je crois devoir à l’autre mais aussi ce que cet autre considère comme lui étant dû. Même si ça doit me frustrer dans mon expression… Hum… Un peu dur ça. Je n’ai pas envie de me frustrer.

Oui, là dessus je ne me sens pas très à l’aise. Je crois que j’ai un peu zappé cet aspect, notamment vis à vis de mes proches. Je crois prendre toutes les précautions nécessaires. J’anonyme, je joue de l’allusif, mais tout de même suis-je bien certain que certains de ceux dont je parle, je pense à ma femme, je pense à mes fils, je pense à mon père même, qui pourraient se retrouver en relation épisodique avec certains de ceux qui me lisent, ne jugeraient pas que même ainsi la façon dont je les implique dans mes propres réflexions n’est pas un manque de respect de leur intimité.

Et là je retrouve la fameuse question du silence, cette pierre d’achoppement insurmontable, la parole aux proches tellement moins déliée que la parole lointaine.

Pour moi c’est là le nœud, le seul qui compte vraiment, celui qui crée en moi ce sentiment de cheminer sur deux routes qui sont toutes les deux les miennes mais qui, ni ne sont parallèles, ni ne se croisent, un pied sur l’une, un pied sur l’autre, pas étonnant si des fois je me sens un peu schizophrène…

Houlà, voilà un billet bien long et sans doute bien pesant en cette veille de Noël !

A vrai dire je ne l’ai pas vu arriver ce Noël. Je n’ai pas la foi qui pourrait me faire communier dans l’évocation de la naissance du Sauveur, les enfants sont devenus grands et dans l’attente d’une nouvelle génération qui ne semble pas encore devoir pointer son nez, les réunions de famille ne portent plus la magie des Noëls d’antan, Noëls d’enfance.

Pendant que j’écris, Constance se prépare, elle a mis les Suites pour violoncelle de Bach par Rostropovitch, un disque superbe et que j’adore, mais pas vraiment gai, pas vraiment léger non plus…

Allez bon Noël à toutes et tous et promis je vous fais un prochain billet plus léger et plus joyeux, enfin j’essaie…

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Commentaires
V
Je fais un peu de tout Pivoine. Après ce léger pensum, ce soir tu auras droit entre autres à un peu de cuisine en effet. Sourire...<br /> Merci Gangoueus pour cette appréciation. Je découvre pour ma part par votre blog des auteurs que je ne connaissais pas .
G
Réflexion extrêmement riche qui interpelle le blogueur que je suis.<br /> <br /> J'étais partagé hier soir sur l'introduction d'un texte que j'ai publié finalement sur mon blog. L'évocation de la perte d'un être cher. J'ai craint d'encombrer mes lecteurs avec cela, mais j'aurai été malhonnête en ne mentionnant<br /> pas mon état d'esprit à la fois mélancolique et joyeux. On est parfois confronté à l'exposition de l'intime. Quand cela est bien reçu, c'est extrêmement fortifiant...<br /> <br /> <br /> Bonnes fêtes.<br /> <br /> @ bientôt,
P
Un jour, tu nous avais raconté comment tu avais fait une recette, une lasagne ou un plat de ce genre. Une paëlla peut-être. En tout cas, tu hachais des poivrons. C'était très agréable à lire. <br /> <br /> Ou une petite fiction ?<br /> <br /> Mais non, tu restes libre d'écrire ce que tu as envie d'écrire, en tout cas vis-à-vis de nous, lectorat étendu...<br /> <br /> (ps. Il y a du rouge chez Rubens aussi, pcq les couleurs primaires, bleu, jaune et rouge, et il y a plein de petits lapins dans les tapisseries de la Dame à la Licorne, mais là, ne serait-ce pas la signature du maître licier ???)
Les échos de Valclair
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