intime, extime; privé, public
Pierre s’est lancé ces
derniers jours dans une réflexion à épisodes autour de l’intime, du privé et du
public et de la façon, évolutive dans le temps, qu’il a eu de gérer ces
questions dans sa propre écriture.
J’avais commencé à
gribouiller des choses en commentaire chez lui et puis vu l’ampleur que prenait
ma réponse je ne l’ai pas envoyé, j’ai basculé mes mots dans mon traitement de
texte et je les ai repris de façon plus construite pour aboutir à ce billet qui
est loin cependant d’épuiser le sujet.
Je me rends compte d’abord
qu’il est très important de bien définir ce dont on parle, ce que l’on met
derrière les mots que l’on emploie. Pierre le fait, lire ses définitions m’a
intéressé, j’ai eu le sentiment que je ne mettais pas exactement les mêmes
choses sans trop savoir ce que je mettais justement, ça m’a donc obligé à
réfléchir.
De façon très simple je
dirai que l’intime est ce qui m’est le plus intérieur, mes sentiments profonds,
ma vie relationnelle, mes questionnements existentiels. Ce qui est considéré
comme intime varie selon les cultures et selon les époques. Dans cette
acception l’intime s’oppose plutôt à l’extime, à des considérations plus
extérieures, m’impliquant certes mais moins profondément, un compte-rendu de
lecture par exemple ou des considérations sociales ou politiques.
Ce qu’on fait de cet intime
alors, dans un contexte culturel donné, dépend de chacun de nous, des limites
que l’on se donne, qui dépendent de notre propre histoire, de notre évolution.
Ainsi on peut choisir de garder l’intime intérieur (dans notre for privé) ou
choisir d’en révéler une partie à autrui dans les cercles proches du dialogue
de personne à personne ou dans les cercles plus éloignés d’un partage public
plus ou moins large. Je décide en tenant compte de diverses considérations de
la part d’intime que je veux rendre publique. Concrètement pour moi qui écrit
mon journal dans un fichier word depuis de longues années ça se traduit par le
fait de décider chaque fois si je mets
en ligne ou pas tel ou tel billet. Enfin ce n’est plus tout à fait ça non plus.
J’écris la plupart de mes billets dans la perspective de les publier, donc je
tiens en compte en les rédigeant du fait qu’ils vont être lus, à l’exception de
certains dont je prévois d’emblée qu’ils resteront dans les profondeurs privées
du disque de mon ordinateur. Le privé c’est donc la part que je retiens, le
public c’est la part que je donne en partage.
J’aboutis ainsi plutôt qu’à
la trilogie intime, privé, public à deux couples de polarités, intime/extime et
privé/public et tout mon réglage de blogueur va consister à savoir à chaque
moment où je fais passer les lignes. Je peux mettre du très profondément intime
dans une analyse de livre à cause d’un écho tout particulier qu’il aura en moi,
je peux dire publiquement certaines choses très intimes sous des formes très
allusives qui les laisseront dans une pénombre plus ou moins profonde, en tout
cas pour la plus grande partie des lecteurs.
Tant que tout ça ne concerne
que moi, j’ai toute liberté d’étaler ou pas mes interrogations profondes, mes
états d’âme ou mes névroses. Est-ce qu’il le faut ou plutôt jusqu’où est ce
qu’il le faut ? C’est une vraie question. Il y a des aspects
incontestablement positifs : le partage est source de discussions
intéressantes, il permet de réaliser que d’autres que nous partagent de mêmes
interrogations ou de mêmes difficultés, accepter d’être soi aux yeux d’autrui
c’est profondément s’accepter soi-même, contribuer à se réunifier. Mais
l’expression exacerbée de l’intime peut avoir des effets pervers aussi :
entretenir le ressassement, se complaire dans un récit de soi qui peut faire
écran à l’action, se substituer à elle, s’imaginer que l’on avance alors qu’on
tourne en rond.
C’est à moi de fixer mes limites,
en ayant réfléchi aux conséquences possibles, à d’éventuels retours de bâton, à
la façon dont je les supporterais. Il n’y a pas vraiment de problème tant que
le lectorat est un ensemble indistinct, une pure abstraction anonyme comme il
l’était pour moi quand j’ai commencé à écrire en ligne. Les choses deviennent
plus compliquées à mesure que le lectorat s’amplifie, se diversifie surtout,
incluant peu à peu des personnes avec lesquelles des interactions se sont
nouées et d’autant plus lorsque ses interactions conduisent à des rencontres
réelles. La sortie de l’anonymat ou même son délitement partiel accentue la
difficulté puisque à partir de ce moment peuvent aboutir sur mes mots des gens
qui me connaissent dans de tous autres cadres, arrivés là par simple hasard ou,
ce qui serait plus ennuyeux, par curiosité malsaine voire mal intentionnée.
Il faut savoir alors si on
est capable de supporter sans souffrir les effets qui pourraient en résulter,
que ce soit des commentaires en ligne malveillants, la circulation de bruits
dans les réseaux souterrains du net (si, si on a déjà vu ça !) ou encore
le regard muet mais vaguement condescendant d’une relation éloignée dont on
devinerait qu’elle a parcouru certaines de nos pages.
Personnellement je crois que
de ce point de vue là j’ai le cuir épais, ou plutôt qu’il l’est devenu grâce
justement à la pratique d’internet, à cette progressive habituation à être
moi-même sous le regard des autres, je ne crois pas risquer trop d’être atteint
par ce que les autres peuvent penser ou dire de moi sauf bien sûr si ce sont
des personnes qui m’importent affectivement.
C’est en fonction de ça
qu’on peut éventuellement juger « immatures » la façon d’écrire de
certains (de certaines !) puisque c’est ainsi que ça a été posé dans certains
commentaires chez Pierre. Ecrire « immature » ce ne serait pas le
fait de trop en dire, d’écrire trop directement dans l’expression des ressentis
immédiats à fleur de peau, à fleur de coeur, ce serait éventuellement de ne pas
avoir mesuré les conséquences pour soi-même, le risque d’avoir à en souffrir.
Mais si on a mesuré ce risque, si on l’assume en toute conscience, alors on ne
peut parler d’immaturité. (Et d’ailleurs « l’immaturité » est-elle
toujours mauvaise, est-ce qu’il n’est pas bon dans certains cas non seulement
d’approcher les limites mais même de se casser le nez dessus, les tensions qui
en résultent, passé un moment difficile, peuvent être positives, mais ce serait
un autre débat.)
Mais tout ça n’est valable
que lorsqu’on parle essentiellement de soi ou de ses relations sur un mode
général, abstrait, à peu près désincarné. Ça se complique sérieusement lorsque
des autruis précis entrent dans la partie.
C’est spécialement vrai
lorsque les autruis en question sont eux-mêmes mêlés au réseaux relationnels
qui se sont constitués sur internet mais c’est vrai aussi dans le cas
contraire. Là on ne peut plus se permettre d’être « effrontément
désinvoltes avec les confidences ». Il faut être de la plus grande
prudence ou plus exactement du plus grand respect de l’intimité d’autrui. Et
pas seulement de ce que je crois être l’intimité d’autrui mais ce que lui-même
va considérer comme son intimité avec une vision peut être très différente,
plus restrictive que la mienne. Ça c’est un point je crois que je n’ai pas
assez creusé, et pas mis en pratique en tout cas. Pierre le dit très
bien : le respect ce n’est pas seulement ce que je crois devoir à l’autre
mais aussi ce que cet autre considère comme lui étant dû. Même si ça doit me
frustrer dans mon expression… Hum… Un peu dur ça. Je n’ai pas envie de me
frustrer.
Oui, là dessus je ne me sens
pas très à l’aise. Je crois que j’ai un peu zappé cet aspect, notamment vis à
vis de mes proches. Je crois prendre toutes les précautions nécessaires.
J’anonyme, je joue de l’allusif, mais tout de même suis-je bien certain que
certains de ceux dont je parle, je pense à ma femme, je pense à mes fils, je
pense à mon père même, qui pourraient se retrouver en relation épisodique avec
certains de ceux qui me lisent, ne jugeraient pas que même ainsi la façon dont
je les implique dans mes propres réflexions n’est pas un manque de respect de
leur intimité.
Et là je retrouve la fameuse
question du silence, cette pierre d’achoppement insurmontable, la parole aux
proches tellement moins déliée que la parole lointaine.
Pour moi c’est là le nœud,
le seul qui compte vraiment, celui qui crée en moi ce sentiment de cheminer sur
deux routes qui sont toutes les deux les miennes mais qui, ni ne sont
parallèles, ni ne se croisent, un pied sur l’une, un pied sur l’autre, pas
étonnant si des fois je me sens un peu schizophrène…
Houlà, voilà un billet bien
long et sans doute bien pesant en cette veille de Noël !
A vrai dire je ne l’ai pas
vu arriver ce Noël. Je n’ai pas la foi qui pourrait me faire communier dans
l’évocation de la naissance du Sauveur, les enfants sont devenus grands et dans
l’attente d’une nouvelle génération qui ne semble pas encore devoir pointer son
nez, les réunions de famille ne portent plus la magie des Noëls d’antan, Noëls
d’enfance.
Pendant que j’écris,
Constance se prépare, elle a mis les Suites pour violoncelle de Bach par
Rostropovitch, un disque superbe et que j’adore, mais pas vraiment gai, pas
vraiment léger non plus…
Allez bon Noël à toutes et
tous et promis je vous fais un prochain billet plus léger et plus joyeux, enfin
j’essaie…