De l'autocensure
Coumarine participe à la rédaction d’un livre collectif autour de l’écriture intime. Elle est chargée du chapitre sur l’autocensure. Comme elle est un peu flemmarde la coquine, elle s’est dit qu’elle ferait bien faire son boulot par ses petits copains blogueurs et nous a soumis un questionnaire.
C’est avec plaisir que je
lui réponds. Histoire de lui donner du grain à moudre. Et du boulot en fait.
Car je sais que, comme elle l’a si bien fait dans « Tout d’un blog »,
elle aura à cœur de donner un panorama des diverses attitudes et
questionnements qui traversent la blogosphére sur ces questions. Et que je vous
invite à reprendre son questionnaire si le problème vous intéresse :
Vous est-il arrivé de vous faire taper sur les doigts par quelqu'un que vous connaissez suite à ce que vous avez écrit sur votre blog? Quelqu'un qui vous reproche d'avoir parlé de lui par exemple? (quid des photos aussi?) :
Non, jamais.
Mais ce qui m’amuse c’est la
façon de poser le problème à partir d’une éventuelle réaction négative ou de la
peur de celle-ci.
Je poserai plutôt la
question dans le sens inverse : est-ce qu’il m’arrive de penser que je
risque de choquer ou de gêner une personne dans ma façon de parler d’elle,
indépendamment de la réaction qu’elle pourrait avoir ou pas ? Là je
réponds oui, j’en tiens compte, j’essaie de formuler ce que je pense d’une
façon qui ne puisse être perçue comme blessante, quitte à atténuer les termes
que j’aurais spontanément employé ou à me débrouiller pour évoquer ce qui me
tient à cœur sans citer la personne. Il m’est même quelque fois arrivé
d’adresser le billet avant publication à la personne concernée pour m’assurer
que nihil obstat.
Indépendamment même de ce
qui pourrait être blessant ou mal perçu je m’interroge lorsque j’évoque une
personne extérieure, même si c’est quelqu’un qui ne lis pas le blog, qui ne
sait même pas que j’en ai un. C’est donc tout à fait indépendant d’une
éventuelle réaction. Ainsi me suis-je interrogé lorsque j’ai évoqué le cancer
de ma sœur, simplement parce que la maladie c’est toujours un sujet sensible. Personne ne la
connaît dans mon monde blogosphérique, personne ne fait le lien, donc à priori
il n’y a aucun problème. N’empêche il reste que je m’arroge le droit de parler
à sa place. Je suis passé outre mes scrupules mais non sans une certaine gêne.
Quant aux photos, je n’en
mets jamais qui puisse être reconnaissables d’une personne dont je parle de la
même façon que je ne donne jamais de noms réels. Par contre je sais que j’ai
mis parfois en ligne des photos reconnaissables d’inconnus. En toute rigueur
juridique je ne devrais pas et si d’aventure ces personnes tombaient sur mon
blog et que ça leur déplaisaient de s’y voir, évidemment je les enlèverai. Mais
c’est fort peu probable, mon blog n’est pas Paris Match !
Gardez-vous farouchement votre anonymat pour vous sentir libre d'écrire comme vous en ressentez le besoin? Ou comme vous aimez le faire?
Je crois qu’il est bon de
savoir que l’anonymat sur internet est toujours fragile.
Je tiens à conserver le mien
pour mes lecteurs de passage et surtout pour éviter que des liens puissent être
établis avec mon monde professionnel. J’évite soigneusement certains termes qui
pourraient permettre par le biais d’un moteur de recherche de m’identifier dans
mes sphères professionnelles. Ainsi il m’arrive d’évoquer mais de façon assez
sibylline des éléments de ma vie professionnelle mais jamais par exemple je
n’ai écrit le nom exact de ma profession ou cité des lieux précis de réunion.
Je sais que ce n’est pas une garantie absolue, simplement je limite les
risques, les probabilités de mise en contact des deux mondes.
Par contre j’ai
progressivement laissé filer l’anonymat à l’égard de nombre de mes lecteurs
plus proches, notamment en les rencontrant et surtout en osant laisser parler
Valclair à visage découvert dans une réunion publique précisément autour de ces
questions. J’ai publié le texte intégral de cette intervention. Ma décision
avait été précédé d’affres diverses (allais-je oser faire cette sorte de
coming-out et, m’y étant décidé, sous quelle identité le ferais-je ?)
Les craintes que j’ai pu
avoir sur le fait que cette décision risquait d’entraîner un changement de mon
mode d’écriture et l’évacuation de sa part la plus intime ne semblent pas
jusqu’à ce jour se révéler fondées.
Vous est-il arrivé de supprimer après
publication un billet qu'après réflexion vous avez jugé trop intime, trop
personnel? (par honte, gêne, peur du
jugement, de briser votre "image")
Jamais.
Je suis surpris au contraire
d’avoir plusieurs fois commencé des billets en me disant que compte tenu du
sujet que j’abordais ce serait certainement un billet hors ligne et puis
finalement de l’avoir mis en ligne en me disant : mais après tout, il n’y
a là rien d’indicible.
Il m’arrive d’en avoir un
léger frisson (là, mon gars, tu y vas fort, tu es un peu fou d’oser (ou de te
laisser aller) à étaler de telles choses de toi, tes fragilités, tes névroses).
Mais en général ensuite j’en suis content parce que j’ai pu dépasser le premier
réflexe d’autocensure, ce qui est signe que je m’accepte tel que je suis aux
yeux de ceux qui me lisent et donc à mes propres yeux, sans honte, sans gêne,
sans peur du jugement d’autrui.
Vous
freinez-vous dans ce que vous avez envie de raconter? Cela concerne-t-il vos
enfants, votre couple? Ou bien plutôt vous et ce que vous vivez, mais que vous
considérez comme "indicible", inracontable?
Je ne me freine pas.
J’essaie d’adopter d’emblée un mode d’écriture qui me permette de rendre
dicible ce que j’ai envie de dire, sans porter atteinte à ceux que j’évoque. Il
faut dire que je n’écris pas directement en ligne. Je me lis et me relis avant
de publier. Je m’assure que je ne risque pas d’être hors des clous vis à vis
d’autrui.
Pour autant je n’ai pas le
sentiment d’être dans l’autocensure. J’essaie de faire passer tout ce que j’ai
envie de faire passer mais en y mettant les formes, notamment en jouant
beaucoup de l’allusion.
C’est un exercice d’écriture
en lui-même que cette pratique, qui implique de se demander chaque fois où
mettre la limite. Comment dire un maximum, offrir en partage des choses
profondes de soi qui forcément impliquent des autres, sans dire trop cependant.
Je dis souvent que j’avance sur une ligne de crête, entre deux écueils :
restreindre par trop ma parole (m’autocensurer donc !), manquer à la
réserve nécessaire pour tout ce qui concerne autrui. D’autres parlent d’une
écriture nécessairement funambule, je me retrouve assez dans ce terme.
C’est évidemment sur les
questions concernant le couple que je pourrais me sentir le plus gêné d’autant
que mon épouse sait que je tiens un blog, mais manifestement elle ne le lit
pas, n’a pas envie de le lire. Mais je sais qu’elle a la possibilité de le
faire et ça ne me paralyse pas plus que ça. L’idée d’une lecture par mes
enfants m’est par contre plus désagréable, notamment par rapport à des textes
qui montrent mes fragilités mais là encore je passe outre, car au fond il n’y
aurait aucun mal.
Il faut dire aussi que je
garde et considère qu’il est nécessaire de garder une part de journal
hors-ligne. Je sais que j’ai ce sas, cette possibilité si j’ai envie d’évoquer
des choses qui nécessitent d’entrer dans des détails impliquant trop
précisément autrui ou certains éléments ne concernant que moi mais qui restent
trop difficiles à partager. Cette part hors ligne s’est un peu développée dans
la mesure où mon anonymat s’est délité mais elle reste minoritaire, inégale
selon les moments, aucun certains mois, un billet sur une dizaine le plus
souvent, mais jusqu’à un billet sur deux à d’autres périodes. J’en avais fait
la statistique début 2009 ici, les rapports restent à peu près les mêmes malgré
mon semi coming out depuis.
Vous est-il arrivé de raconter des
choses de vous, soit par le biais de l'écriture "automatique" (dont vous êtes donc seul(e) à connaître la
clé?) Soit pas le biais de la fiction, du récit?
Je ne pratique pas
l’écriture automatique mais il m’est arrivé de me dire à l’occasion de petits
essais fictionnels ou d’écriture sur consignes que j’avais laissé remonter des
choses qui sinon ne seraient pas apparus et j’en suis toujours content. C’est
la raison pour laquelle j’aime aussi essayer d’accrocher certains de mes rêves
au réveil et de les écrire.
Etes-vous touché(e) en profondeur
quand vous lisez un billet dans lequel l'auteur se dévoile? Ou au contraire mal
à l'aise, jugeant que c'est de l'exhibitionnisme?
Absolument touché, oui, dès
lors que je ressens qu’il s’agit d’une parole authentique.
Il est sûr en tout cas que
même s’il y a de nombreux blogs purement culturels ou d’expression littéraire
plus distanciée qui m’intéressent, c’est tout de même lorsque je sens que la
personne essaie d’aller, avec les limites de confidentialité qu’on a vu plus
haut, le plus au fond d’elle même que je me sens le plus intéressé. Et je sais
aussi que c’est lorsque je vais assez loin dans ce que je dis de moi que je
suscite le plus d’intérêt, que je suscite des réactions par voie de
commentaires ou d’échanges privés par mail qui m’apportent beaucoup à moi en
retour.
A chacun de mettre ses
limites, en étant conscient des risques éventuels qu’il prend.
Je sais que pour ma part je
n’ai jamais eu à ce jour à regretter ce que j’avais mis en ligne, même lorsque
parfois l’intime s’est invité au-delà de ce qui paraîtrait prudent ou
convenable.
Autres considérations auxquelles vous
pensez?
Pfou ! je pense que
j’en ai déjà trop écrit !