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Les échos de Valclair
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31 mai 2010

De l'autocensure

Coumarine participe à la rédaction d’un livre collectif autour de l’écriture intime. Elle est chargée du chapitre sur l’autocensure. Comme elle est un peu flemmarde la coquine, elle s’est dit qu’elle ferait bien faire son boulot par ses petits copains blogueurs et nous a soumis un questionnaire.

C’est avec plaisir que je lui réponds. Histoire de lui donner du grain à moudre. Et du boulot en fait. Car je sais que, comme elle l’a si bien fait dans « Tout d’un blog », elle aura à cœur de donner un panorama des diverses attitudes et questionnements qui traversent la blogosphére sur ces questions. Et que je vous invite à reprendre son questionnaire si le problème vous intéresse :

 

Vous est-il arrivé de vous faire taper sur les doigts par quelqu'un que vous connaissez suite à ce que vous avez écrit sur votre blog? Quelqu'un qui vous reproche d'avoir parlé de lui par exemple? (quid des photos aussi?) :

Non, jamais.

Mais ce qui m’amuse c’est la façon de poser le problème à partir d’une éventuelle réaction négative ou de la peur de celle-ci.

Je poserai plutôt la question dans le sens inverse : est-ce qu’il m’arrive de penser que je risque de choquer ou de gêner une personne dans ma façon de parler d’elle, indépendamment de la réaction qu’elle pourrait avoir ou pas ? Là je réponds oui, j’en tiens compte, j’essaie de formuler ce que je pense d’une façon qui ne puisse être perçue comme blessante, quitte à atténuer les termes que j’aurais spontanément employé ou à me débrouiller pour évoquer ce qui me tient à cœur sans citer la personne. Il m’est même quelque fois arrivé d’adresser le billet avant publication à la personne concernée pour m’assurer que nihil obstat.

Indépendamment même de ce qui pourrait être blessant ou mal perçu je m’interroge lorsque j’évoque une personne extérieure, même si c’est quelqu’un qui ne lis pas le blog, qui ne sait même pas que j’en ai un. C’est donc tout à fait indépendant d’une éventuelle réaction. Ainsi me suis-je interrogé lorsque j’ai évoqué le cancer de ma sœur, simplement parce que la maladie c’est toujours un sujet sensible. Personne ne la connaît dans mon monde blogosphérique, personne ne fait le lien, donc à priori il n’y a aucun problème. N’empêche il reste que je m’arroge le droit de parler à sa place. Je suis passé outre mes scrupules mais non sans une certaine gêne.

Quant aux photos, je n’en mets jamais qui puisse être reconnaissables d’une personne dont je parle de la même façon que je ne donne jamais de noms réels. Par contre je sais que j’ai mis parfois en ligne des photos reconnaissables d’inconnus. En toute rigueur juridique je ne devrais pas et si d’aventure ces personnes tombaient sur mon blog et que ça leur déplaisaient de s’y voir, évidemment je les enlèverai. Mais c’est fort peu probable, mon blog n’est pas Paris Match !

 

Gardez-vous farouchement votre anonymat pour vous sentir libre d'écrire comme vous en ressentez le besoin? Ou comme vous aimez le faire?

Je crois qu’il est bon de savoir que l’anonymat sur internet est toujours fragile.

Je tiens à conserver le mien pour mes lecteurs de passage et surtout pour éviter que des liens puissent être établis avec mon monde professionnel. J’évite soigneusement certains termes qui pourraient permettre par le biais d’un moteur de recherche de m’identifier dans mes sphères professionnelles. Ainsi il m’arrive d’évoquer mais de façon assez sibylline des éléments de ma vie professionnelle mais jamais par exemple je n’ai écrit le nom exact de ma profession ou cité des lieux précis de réunion. Je sais que ce n’est pas une garantie absolue, simplement je limite les risques, les probabilités de mise en contact des deux mondes.

Par contre j’ai progressivement laissé filer l’anonymat à l’égard de nombre de mes lecteurs plus proches, notamment en les rencontrant et surtout en osant laisser parler Valclair à visage découvert dans une réunion publique précisément autour de ces questions. J’ai publié le texte intégral de cette intervention. Ma décision avait été précédé d’affres diverses (allais-je oser faire cette sorte de coming-out et, m’y étant décidé, sous quelle identité le ferais-je ?)

Les craintes que j’ai pu avoir sur le fait que cette décision risquait d’entraîner un changement de mon mode d’écriture et l’évacuation de sa part la plus intime ne semblent pas jusqu’à ce jour se révéler fondées.

 

Vous est-il arrivé de supprimer après publication un billet qu'après réflexion vous avez jugé trop intime, trop personnel? (par honte, gêne, peur du jugement, de briser votre "image")

Jamais.

Je suis surpris au contraire d’avoir plusieurs fois commencé des billets en me disant que compte tenu du sujet que j’abordais ce serait certainement un billet hors ligne et puis finalement de l’avoir mis en ligne en me disant : mais après tout, il n’y a là rien d’indicible.

Il m’arrive d’en avoir un léger frisson (là, mon gars, tu y vas fort, tu es un peu fou d’oser (ou de te laisser aller) à étaler de telles choses de toi, tes fragilités, tes névroses). Mais en général ensuite j’en suis content parce que j’ai pu dépasser le premier réflexe d’autocensure, ce qui est signe que je m’accepte tel que je suis aux yeux de ceux qui me lisent et donc à mes propres yeux, sans honte, sans gêne, sans peur du jugement d’autrui.

 

Vous freinez-vous dans ce que vous avez envie de raconter? Cela concerne-t-il vos enfants, votre couple? Ou bien plutôt vous et ce que vous vivez, mais que vous considérez comme "indicible", inracontable?

Je ne me freine pas. J’essaie d’adopter d’emblée un mode d’écriture qui me permette de rendre dicible ce que j’ai envie de dire, sans porter atteinte à ceux que j’évoque. Il faut dire que je n’écris pas directement en ligne. Je me lis et me relis avant de publier. Je m’assure que je ne risque pas d’être hors des clous vis à vis d’autrui.

Pour autant je n’ai pas le sentiment d’être dans l’autocensure. J’essaie de faire passer tout ce que j’ai envie de faire passer mais en y mettant les formes, notamment en jouant beaucoup de l’allusion.

C’est un exercice d’écriture en lui-même que cette pratique, qui implique de se demander chaque fois où mettre la limite. Comment dire un maximum, offrir en partage des choses profondes de soi qui forcément impliquent des autres, sans dire trop cependant. Je dis souvent que j’avance sur une ligne de crête, entre deux écueils : restreindre par trop ma parole (m’autocensurer donc !), manquer à la réserve nécessaire pour tout ce qui concerne autrui. D’autres parlent d’une écriture nécessairement funambule, je me retrouve assez dans ce terme.

C’est évidemment sur les questions concernant le couple que je pourrais me sentir le plus gêné d’autant que mon épouse sait que je tiens un blog, mais manifestement elle ne le lit pas, n’a pas envie de le lire. Mais je sais qu’elle a la possibilité de le faire et ça ne me paralyse pas plus que ça. L’idée d’une lecture par mes enfants m’est par contre plus désagréable, notamment par rapport à des textes qui montrent mes fragilités mais là encore je passe outre, car au fond il n’y aurait aucun mal.

Il faut dire aussi que je garde et considère qu’il est nécessaire de garder une part de journal hors-ligne. Je sais que j’ai ce sas, cette possibilité si j’ai envie d’évoquer des choses qui nécessitent d’entrer dans des détails impliquant trop précisément autrui ou certains éléments ne concernant que moi mais qui restent trop difficiles à partager. Cette part hors ligne s’est un peu développée dans la mesure où mon anonymat s’est délité mais elle reste minoritaire, inégale selon les moments, aucun certains mois, un billet sur une dizaine le plus souvent, mais jusqu’à un billet sur deux à d’autres périodes. J’en avais fait la statistique début 2009 ici, les rapports restent à peu près les mêmes malgré mon semi coming out depuis.

 

Vous est-il arrivé de raconter des choses de vous, soit par le biais de l'écriture "automatique" (dont vous êtes donc seul(e) à connaître la clé?) Soit pas le biais de la fiction, du récit?

Je ne pratique pas l’écriture automatique mais il m’est arrivé de me dire à l’occasion de petits essais fictionnels ou d’écriture sur consignes que j’avais laissé remonter des choses qui sinon ne seraient pas apparus et j’en suis toujours content. C’est la raison pour laquelle j’aime aussi essayer d’accrocher certains de mes rêves au réveil et de les écrire.

 

Etes-vous touché(e) en profondeur quand vous lisez un billet dans lequel l'auteur se dévoile? Ou au contraire mal à l'aise, jugeant que c'est de l'exhibitionnisme?

Absolument touché, oui, dès lors que je ressens qu’il s’agit d’une parole authentique.

 Ce qui ne m’empêche pas d’être parfois dérouté ou gêné devant certains dérapages mais c’est finalement plutôt rare.

Il est sûr en tout cas que même s’il y a de nombreux blogs purement culturels ou d’expression littéraire plus distanciée qui m’intéressent, c’est tout de même lorsque je sens que la personne essaie d’aller, avec les limites de confidentialité qu’on a vu plus haut, le plus au fond d’elle même que je me sens le plus intéressé. Et je sais aussi que c’est lorsque je vais assez loin dans ce que je dis de moi que je suscite le plus d’intérêt, que je suscite des réactions par voie de commentaires ou d’échanges privés par mail qui m’apportent beaucoup à moi en retour.

A chacun de mettre ses limites, en étant conscient des risques éventuels qu’il prend.

Je sais que pour ma part je n’ai jamais eu à ce jour à regretter ce que j’avais mis en ligne, même lorsque parfois l’intime s’est invité au-delà de ce qui paraîtrait prudent ou convenable.

 

Autres considérations auxquelles vous pensez?

Pfou ! je pense que j’en ai déjà trop écrit !

 

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Commentaires
V
Oui c'est une réalité ce lien vivant entre nous, y compris avec certains que l'on n'a jamais vu. Je trouve très sympa qu'il apparaisse de façon évidente y compris pour ceux qui n'en sont pas par cette "chaleur humaine" que tu ressens rien qu'à nous lire Josiane.<br /> <br /> Merci à tous de vos commentaires si appréciateurs. Pivoine je sais que tu es fan et tu sais, ça me fait très, très, plaisir...
P
C'est même mieux que ce que n'importe qui (je o;) aurait pu écrire! Non, sérieusement, c'est vraiment très fourni comme réflexion. Ton blog a une fameuse densité... Dans ses aspects les plus divers. C'est un de ceux qui me donne le plus de plaisir à lire...
J
Bsr Valclair, je ne viens pas ici pour répondre au questionnaire, je l'ai fait par ailleurs, mais simplement pour te dire, que même si personnellement je ne tiens pas de blog, c'est toujours avec beaucoup de plaisir que je viens te lire. Et ce que tu développes ici tout en répondant à Coumarine, ne fait que confirmer ce que je pensais. Sans parler d'autocensure, tu es quelqu'un de respectueux, tu es prudent dans ce que tu dis, de temps en temps tu parles de tes proches mais on sent bien que c'est surtout une explication que tu nous donnes pour que l'on perçoive à ce moment là tes états d'âme. En dire suffisamment pour être à peu près compris et pas trop pour ne gêner personne, c'est je pense là le plus difficile à faire dans des blogs comme le tien et puisque tu n'as pas rencontré de problèmes particuliers, c'est que tu as trouvé ce juste milieu! J'aime bien aussi cette solidarité que je perçois entre vous les "vieux blogueurs"!!!C'est bien, c'est plein de chaleur humaine, ça me fait plaisir de le ressentir ainsi!
A
pfffffffff !!<br /> j'avais laissé un commentaire trèèèèèès positif !!!<br /> Mais Canalblog semble l'avoir autocensuré !!!<br /> <br /> Tant pis !<br /> Je disais en gros que ce billet était excellent...
C
Merci Valclair, d'avoir répondu aussi longuement à mes questions<br /> Tu as déjà bien souvent mené une réflexion intéressante sur le dire ou le pas dire sur les blogs<br /> Déjà je t'avais cité dans mon livre Tout d'un blog<br /> J'ai bien l'impression que je recommencerai dans ce projet qui va prendre corps (mais je te tiendrai bien sûr au courant)<br /> Je ne vais pas commenter ici tes intéressantes réflexions. Il faudra que j'y réfléchisse sérieusement car en effet tu me donnes du pain en abondance sur la planche<br /> (et tout ça dans cette écriture fluide qui est la tienne...)<br /> MERCI aussi pour les divers liens qui renvoient chacun à un billet intéressant<br /> Je m'en vais imprimer tout ça. Et je te tiens bien sûr au courant!
Les échos de Valclair
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