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Les échos de Valclair
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12 février 2009

"Chaînes conjugales"

J’ai acheté récemment le DVD du film de Mankiewicz à la suite de ma lecture de « Paradis conjugal » et je l’ai regardé hier. Je ne l’ai pas vu du tout comme Alice Ferney ou plus exactement comme Elsa Platte, l’héroïne de son livre.

Elsa partage avec les héroïnes du film la peur de l’abandon mais c’est à peu près tout. Elle réfère cette peur à l’amour, à son usure et à son épuisement ainsi qu’au vieillissement du corps. L’amour est présent bien sûr dans les couples de Mankiewicz, mais d’une façon seconde, quasi marginale. La figure possible de l’amour véritable, puissance déstabilisatrice des couples constitués, est incarnée par une absence oh combien présente, c’est la voix off, c’est la mystérieuse, l’insaisissable Annie Ross.

Je vois pour ma part ce film surtout comme une analyse constamment ironique des rapports sociaux et de leur sourde violence dans la bonne société américaine provinciale de l’après-guerre, des rapports hommes femmes, des efforts pour préserver la conjugalité et les statuts sociaux acquis grâce à elle. Dans le livre j’avais l’impression d’une happy end parce qu’était affirmé la possibilité de « la restauration de l’amour ». C’est nettement plus ambigu chez Mankiewicz. Ce qui est préservé c’est la conjugalité et pas forcément l’amour ou alors un amour tellement indissociables de liens et de rapports sociaux d’une grande violence qu’on ne sait plus si c’est vraiment de l’amour. Ces chaînes conjugales qu’évoquent le titre, c’est bien au premier degré qu’il faut les lire.

Mankiewicz observe et décode avec un œil d’entomologiste les réactions contrastées de personnages qui se débattent dans les situations à la fois drôles et cruelles dans lesquelles ils sont plongés. L’ironie tourne même à la franche satire quand il présente le couple ridicule de la redoutable Madame Manley et de son petit mari, qui symbolisent avec une réjouissante modernité l’accaparement des médias par les publicitaires : ce dont il est question, c’est, dit avec d’autres mots, « l’achat de temps de cerveau disponible » selon la célèbre formule d’un patron de TF1.

C’est curieux tout de même : l’analyse du film dans le livre est très fine, très détaillée. Il y a certains détails dont je suis sûr que je ne les ai perçus à la vision que parce que mon attention avait été attiré sur eux par le récit dans le livre. Et pourtant j’ai ressenti le film comme profondément différent de ce à quoi je m’attendais. Je n’ai pas eu du tout l’impression d’une redite et l’inquiétude que j’avais en me disant qu’il était dommage d’avoir lu le livre et d’en avoir ainsi défloré le film ne s’est pas révélé du tout fondée.

Je me demande simplement si Alice Ferney en l’écrivant a joué sciemment de ce décalage. Ce serait alors une dimension supplémentaire à son livre, ce jeu sur la différence entre la vision « objective » du film et sa vision dans le regard d’une femme en proie à sa propre angoisse de perte d’amour.

En tout cas c’est sacrément enrichissant de se confronter aux deux œuvres. Mais dans quel sens est-il préférable de le faire, ça je n’en sais fichtrement rien…

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Commentaires
V
Bienvenue Carole dont je découvre à cette occasion les toutes jeunes Miettes. J'aime bien cette idée de nos écrits comme pièces d'un puzzle qui nous constitue, il y a un peu de ça chez moi aussi
C
Je n'ai pas lu le livre. Je suis tout à fait d'accord avec votre analyse du film. Je l'ai vu en février moi aussi, et depuis j'y pense souvent. Il faut que je le revois. l'identité d'une femme dépendant de son statut conjugal . Très désespéré, ce film nous rappelle que l'amour nous illusionne sur la réalité des relations hommes / femmes qui est avant tout un jeu d'intérêt, de pouvoir et de séduction. L'enjeu de ces trois femmes n'est pas la perte de l'amour mais la perte du statut social que le mariage seul leur confère.
T
Valclair, <br /> <br /> j'ai commencé le livre d'Alice Ferney hier et je reviens aujourd'hui lire ton billet que j'avais volontairement "sauté" pour ne pas gâcher le plaisir de la découverte.<br /> <br /> Comme toi, je ne verrai désormais le film qu'après le livre. Mais ce qui m'amuse, c'est ton expression de "vision "objective" du film" : peux-tu me dire en quoi ta version est plus objective que celle de l'héroïne ?<br /> <br /> ;-)<br /> <br /> Je t'embrasse, je reviendrai plus tard vers ce billet.
Les échos de Valclair
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