Découverte de Marie Chaix
J’avais entendu parler de
Marie Chaix mais, à ce jour, je n’avais rien lu d’elle. Le fait de partager la
tribune avec elle et d’autres à l’occasion de la table ronde de l’APA sur
intime/privé/public m’a incité à mettre le nez dans ses livres.
J’ai lu le week-end dernier
« L’été du sureau » qui m’a beaucoup plu.
Dans ce livre Marie Chaix
porte à nouveau le regard sur toute son histoire familiale, elle reprend des
éléments manifestement déjà abordés dans ces précédents ouvrages mais éclairé
par ce qu’elle a vécu entre temps.
Les questionnnements qu’elle
pose sur l’acte d’écrire et sur le lien que celui-ci entretient avec la vie
même font écho en moi et spécialement en ce moment. Pourquoi écrit-on? Pourquoi
l’écriture se bloque-t-elle et pourquoi revient-elle ? Pourquoi cet
acharnement d’écrire et ce qu’il a de laborieux et de douloureux ?
(« Plaisir d’écrire ? Rarement connu. Plaisir d’avoir écrit ?
Oui sûrement » dit-elle et je me retrouve tout à fait dans la formule).
Marie Chaix avait cessé
d’écrire en 1990 à la suite de la mort d’un ami proche, sorte de confident et
de mentor littéraire, et elle en retrouve brusquement le besoin 10 ans après au
moment où sa fille décide de quitter son mari, un événement relativement banal
en ces temps de familles recomposées mais qui la bouleverse au-delà de ce
qu’elle pouvait imaginer. C’est que ce que cette intermittence du désir
d’écrire lui dit sur sa propre vie, sa propre histoire familiale depuis sa plus
petite enfance qu’elle analyse finement et qui constitue le sujet même du
livre.
Elle articule dans son
récit, extraits du journal tenu pendant l’été marqué par la séparation de sa
fille, racontant ses réactions au jour le jour dans des maisons de vacances
elles-mêmes porteuses de souvenirs, avec la reprise éclairée par cet événement
nouveau de souvenirs bien plus anciens. Les arbres qui sont la marque des lieux
jouent un rôle particulier : la qualité de leur ombre, l’odeur de leurs
fleurs, ce sont les madeleines de Marie Chaix et ce n’est pas pour rien que le
sureau apparaît dans le titre même du livre.
Le récit de la jeune
grand-mère bouleversée par la séparation de sa fille, la ramène à sa propre
séparation d’avec le père de ses enfants, à la part de culpabilité qu’elle n’a
pu s’empêcher d’en ressentir même si au final elle loue cette « merveille
de la recomposition » lorsque celle-ci est réussie. Au delà les départs
des hommes qui sont les traumatismes déclencheurs de l’arrêt de l’écriture pour
le premier, de sa reprise pour le second, la ramène à des absences bien plus
anciennes, celle du père collaborateur, fuyant se réfugier en Allemagne puis
longtemps emprisonné à Fresnes, celle des frères décédés l’un et l’autre.
Ecrire c’est travailler son
histoire même si « les livres que l’on écrit ne suffisant pas à nous
élucider ». Mais c’est aussi, en tout cas dès lors qu’on publie ou qu’au
moins on donne à lire, la mise en jeu d’une relation avec ceux qui lisent.
C’est délicat sans doute à l’égard des proches, il faut dépasser ce qui peut
être mal interprété ou perçu comme trop douloureux mais ensuite, parce que
l’effort entrepris est la marque d’une reconnaissance profonde pour l’histoire
commune et signe d’amour, ils deviennent partie de ces
« transmissions » si précieuses pour se construire soi, et soi en
lien avec ceux qui partagent une part de l’histoire, parents, fratries, amis,
enfants. Tout n’est pas possible : ainsi Marie Chaix n’a pu écrire son
premier livre qu’une fois sa mère décédée mais par delà la mort elle porte un
témoignage qui l’aide elle-même mais aide aussi ceux qui sont autour d’elle.
Bien sûr je suis dans une
situation différente n’ayant jamais publié de livre, encore moins fait
profession d’écrire mais le fait d’avoir, rompant avec le journal pour soi
camouflé au fond d’un tiroir, accepté puis recherché un lectorat, fut-ce un
micro-lectorat, en passant au journal en ligne puis aujourd'hui, allant plus
loin, en acceptant de le présenter publiquement, n’est sûrement pas anodin.
C’est avec l’écrivain reconnu une différence de degré, pas une différence de
nature. Tiens me voici il me semble au cœur du thème de la table ronde…
Mais, petite remarque
annexe, pourquoi bon sang cette dénomination de roman pour ce texte qui
s’assume autobiographique de bout en bout, sans même recourir aux ruses et
contorsions de l’autofiction ?