Puissance de la littérature
J’ai lu le week-end dernier« Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil » d’Haruki Murakami.
C’était vraiment une lecture de hasard. J’ai récupéré ce bouquin à l’occasion d’une promotion de la collection dix/dix-huit. Un livre était offert dans un choix de trois. J’ai choisi celui-ci par curiosité, justement parce que je ne connaissais pas l’auteur et parce que globalement je suis très ignorant du monde japonais dans son ensemble et de sa littérature en particulier.
On lit beaucoup de livres, certains sont médiocres et vite oubliés, d’autres sont bien menés, bien écrits, leur lecture est plaisante, ils nous enrichissent et puis pour quelques uns c’est encore autre chose, il y a une sorte de magie qui emporte sans qu’on sache toujours très bien pourquoi et là on se dit « ce n’est pas juste un récit, un roman, là, c’est de la littérature ».
Récemment j’avais eu ce sentiment avec « Les mains gamines » d’Emmanuelle Pagano et je viens donc de l’avoir à nouveau avec ce livre-ci, tellement différent.
A quoi cela tient-il ? Un style, un ton, une musique, une sorte d’harmonie intérieure qui court sans hiatus tout au long du texte, la correspondance parfaite entre les moyens mis en oeuvre (qui peuvent être d’une extrême simplicité comme c’est le cas ici) et l’objet du récit. Rien à rajouter, rien à retrancher, on est embarqué…
Ici toute l’histoire est baignée d’une impalpable nostalgie, portée par une narration à l’imparfait, très simple, très linéaire qui suit la chronologie de l’histoire d’une vie. Le souvenir ébloui d’un amour d’enfance et de quelques moments précieux, l’écoute d’un disque ensemble, des mains frôlées, traversent les années. L’enfant aimée, Shinamoto-San, devenue femme apparaît à plusieurs reprises au narrateur. Celui-ci, installé dans une vie familiale, professionnelle « parfaite » à laquelle « il ne manque que l’essentiel » est de plus en plus bouleversé par les apparitions et disparitions de cet amour essentiel qui deviennent le cœur de sa vie. Il faudrait revenir, reprendre cet amour là où il s’est manqué mais, « c’est vraiment dommage, les choses ne peuvent pas aller à reculons ». Cette femme retrouvée est intensément douce, souriante mais mystérieuse, inaccessible. Lors d’un voyage au bord d’un fleuve dans la montagne où s’accomplit un acte essentiel (magnifique dixième chapitre, cœur du livre), « une porte s’était entrouverte, une fois, une seule fois, puis s’était refermée hermétiquement ». Qu’y a-t-il derrière cette beauté et cette douceur ? On ne le saura pas mais on devine des abîmes, « un silence glacé », « le spectacle de la mort ». Shinamoto-San réapparaît une dernière fois, effectue un nouveau voyage avec le narrateur, un seul jour, une seule nuit, un accomplissement charnel enfin réalisé puis une nouvelle disparition qu’on suppute cette fois définitive, comme si cet amour là ne pouvait être de ce monde.
Il reste au narrateur à reprendre pied dans le monde réel, auréolé à jamais d’une infinie nostalgie et de ses souvenirs éblouis.
Peut-être aussi ai-je été à ce point sensible à ce livre parce qu’il a fait écho à des pensées d’écriture que j’ai en moi depuis longtemps. Parmi celles-ci en effet figure un récit où brilleraient des femmes croisées, rencontrées, aimées parfois de loin, parfois dans la pure rêverie, je voudrais partant de souvenirs, certains infiniment ténus, minuscules mais qui ont rayonné en moi puissamment au cours des années m’envoler dans l’imaginaire, prendre des chemins que je n’ai pas pris, voir où ils me mènent. Je n’ai pas écrit une page de ce récit, par même choisi le point de départ, je n’ai que le titre qui flotte en moi depuis plusieurs années : « Femmes manquées ».
Croiser ce roman de Murakami sur un sujet qui n’est pas si différent à la fois me stimule et me paralyse à voir l’immensité de l’écart entre ce que fait un écrivain de talent et les pauvres petites fictions qu’il a pu m’arriver de produire.
En tout cas il me faudrait prendre le temps, m’immerger totalement, m’éloigner donc de ce journal.
Il faudrait basculer dans cet écrire vraiment dont parle souvent Eva et dans lequel semble-t-il elle est aujourd'hui parvenue à entrer.
Bon, je m’éloigne de ma petite note de lecture là…