Et donc...
Alors, si je regarde d’un
peu plus loin cette semaine qu’en dirais-je ?
J’ai pris du plaisir à
découvrir cette ville, son ambiance, une partie des trésors artistiques qu’elle
recèle. J’ai été content de le faire en partie avec mes fils, c’est une forme
de réunion familiale peu habituelle et sympathique de se retrouver pour partager
des découvertes plutôt que pour un simple repas. Mais j’ai ressenti aussi
souvent de la lassitude. Peut-être est-ce aussi qu’on a voulu un peu trop en
faire. J’ai eu souvent les pieds recrus, on a trop marché, l’asphalte des rues
et le piétinement dans les musées, c’est bien plus fatiguant que de crapahuter
sur les chemins de montagne ! J’ai l’impression que je suis de moins en
moins à l’aise dans ce tourisme de touriste, où on accumule les visites sans
répit, comme s’il fallait à tout prix rentabiliser le temps. On consomme de la
culture comme on consomme le reste. Au bout d’un moment, trop c’est trop. Il y
faut des moments de respiration et de répit, et même de silence en soi, ce à
quoi ne suffisent pas les temps passés aux terrasses des cafés ou des
restaurants.
Ça me fait penser à cette
façon de s’exprimer que je déteste quand on dit: on a « fait »
Berlin, comme l’an prochain on pourrait « faire » le Mexique où les
Îles Machintrucs !
Il faut dire que les
conditions de notre hébergement, correctes mais dans un lieu froid, sans
contact, où l’on n’avait aucune envie de paresser, nous poussait dehors du
matin jusqu’au soir. Peut-être avais-je espéré voir de plus près la vie de
fiston, passer une soirée dans son appartement, entrer un peu plus dans sa vie
berlinoise, mais elle de fait trop récente pour qu’il ait eu le temps d’y
entrer lui-même suffisamment pour nous la faire découvrir. Il n’est qu’un
étudiant posé là pour une très brève période et n’a encore que peu de contacts locaux
véritables. Et de plus les conditions météo le plus souvent médiocres ne nous
ont pas permis de badauder autant qu’on l’aurait voulu ou d’aller en randonnée
à l’extérieur au bord des lacs ou dans les forêts et ont contribué à prolonger
nos visites dans les musées peut-être un peu plus qu’on aurait voulu.
Berlin n’est pas à
proprement parler une belle ville. Si l’on monte sur un quelconque observatoire
(la coupole de la Franzosischer Kirche pour nous, on ne voit à l’infini que la
platitude des toits d’où émergent de loin en loin les dômes des églises, assez
similaires les uns aux autres, quelques bâtiments modernes à l’architecture
plus ambitieuse (le Reichstag, le Sony center) et l’inévitable tour de la
télévision au-dessus d’Alexanderplatz. Les distances entre les lieux sont
considérables, plus d’une fois on s’est fait piéger en se disant « bof ce
n’est qu’à deux-trois stations de métro, on ne va tout de même pas prendre le
métro pour ça ». La solennité et la lourdeur de la plupart des bâtiments
historiques, des églises, des musées, la largeur des avenues et des places, n’ont
rien de bien attrayant et sont même plutôt écrasant. La volonté impériale prussienne
et le stalinisme, de ce point de vue là ce sont donnés la main par dessus les
années. Bien entendu il y a hors de la zone le plus centrale mille exemples
d’architectures plus intéressantes, que ce soit quelques restes de la Prusse du
18°, des constructions Art-nouveau du début du 20°, ou des réalisations
architecturales récentes, souvent très belles et articulées de façon heureuse à
l’histoire de la ville.
Cela dit c’est évidemment
une ville très intéressante de par son histoire et par tout ce qui s’y est
accumulé. Et c’est sûrement une ville où il fait bon vivre, grâce à ses parcs,
à sa circulation fluide où le vélo peut avoir la part belle, à la multiplicité
de ses terrasses et de ses lieux conviviaux, à une créativité que l’on sent très
présente. On a l’impression aussi d’un melting-pot entre les habitants qui
prend mieux que dans nos villes françaises. Kreutzberg où vit fiston compte
manifestement une très importante communauté turque, majoritaire dans certains
immeubles, mais c’est aussi un quartier branché, jeune, mêlé et même assez bobo
dans certains de ces secteurs, mais tout ça semble plutôt bien cohabiter, on
n’a pas l’impression qu’il y a des zones quasi ghettoïsées comme certaines de
nos cités de banlieue.
J’aime accompagner mes
voyages de lectures ayant un rapport avec le lieu où je suis. J’ai lu le
magnifique mais absolument terrifiant « Seul dans Berlin » de Hans
Fallada, écrit au lendemain de la guerre. Il évoque la vie à Berlin entre 1940
et 1942. On y voit vivre les habitants d’un immeuble modeste, avec leurs
personnages variés, du nazi convaincu, à la vieille dame juive, du petit
trafiquant-indicateur au couple plein de droiture qui, après la mort d’un fils
au front, se lance dans une entreprise d’opposition solitaire au nazisme, à la
fois totalement dérisoire et vouée à l’échec mais d’une absolue détermination
et rigueur morale. Le livre montre le totalitarisme nazi en action, détaille
tous les moyens mis en œuvre pour découvrir le couple d’opposants, pour briser
toute opposition, pour susciter la suspicion et la haine et pour casser les
êtres aussi bien physiquement que moralement. C’est une constante descente aux
enfers mais d’où émerge les figures lumineuses de différentes sortes de justes
qui, bien qu’impitoyablement éliminés, témoignent pour l’humanité et peuvent
laisser espérer un renouveau après la barbarie absolue.
Bref ce fut une semaine
riche et plaisante dans l’ensemble mais qui, pour moi du moins, n’a pas eu l’intensité
de certains autres voyages et a comporté certains moments de malaise.
Hier soir j’ai renoué avec les
salles obscures. Je me suis offert un film drôle, plaisant, délicieusement
caustique comme savent le faire les anglais, Tamara Drewe.
C’est ce qu’il me fallait pour me mettre en condition avant de reprendre le boulot ce matin. J’y pars détendu et l’esprit relativement léger, c’est bien ça, en avant pour cette dernière année, avec encore un peu de cœur à l’ouvrage. Comme quoi mon interruption estivale même si elle a été atypique et non dénuée de soucis m’a tout de même bien regonflé.
Quelques images encore, centrées cette fois sur la modernité architecturale du nouveau Berlin... Et en terminant par la rencontre des traces du mur et des immeubles de la Postadmer Platz